lundi 27 août 2007

La chute

Tantale est un humain qui, comme beaucoup, voulait devenir dieu. Je passe sur ce qu’il fit pour parvenir à ses fins. Toujours est-il que, sans surprise, l’ordre divin se rappelle en définitive à lui ; sa condition humaine lui est rappelée de bien cruelle manière puisque Tantale se retrouve éternellement supplicié.

La mythologie gréco-romaine regorge de ce genre de scénarios où un mortel se trouve dans l’illusion d’avoir accompli quelque chose qui l’élève au dessus des autres hommes. Ainsi Sisyphe, également condamné au supplice perpétuel, n’en finit pas de monter au sommet d’une montagne une lourde pierre qui retombe en bas aussitôt que la cime est proche. On pourrait aussi songer aux Danaïdes, condamnées à remplir des tonneaux percés.

Ces mythes sont là pour signifier la vanité de l’humain qui veut se rapprocher des dieux et de leur perfection ; ils rappellent également que l’ordre divin prime sur l’ordre humain, que l’harmonie entre les dieux et les hommes tient au strict respect de l’ordre établi et de la hiérarchie qui en découle. L’humain doit craindre les dieux pour rester à sa place et les fameux supplices sont là pour le cantonner dans l’obéissance religieuse. Les religions dites « du livre » n’ont fait que décliner le même type de concept sous d’autres formes, toujours dans le but d’indiquer la place que chacun devrait théoriquement occuper pour maintenir l’harmonie cosmique. Plus tard encore, ces mythes ont été revisités par des artistes et si je devais retenir un seul exemple significatif ce serait La Chute d’Albert Camus.

Certes on peut à la rigueur concevoir une telle logique dans la mesure où elle persuaderait les hommes de renoncer à certains de leurs comportements répréhensibles comme la quête du pouvoir au détriment d’autrui. Mais il est vrai aussi que cette volonté humaine de toucher le divin tient souvent à la seule aspiration de parvenir à une forme de bonheur individuel, sincère et pur, et surtout sans nuisance pour l’entourage.

Vouloir s’élever pour être heureux n’est pas un crime mais c’est néanmoins ce qui est en définitive reproché à certains dans les mythes. Ainsi le jeune Icare se brûle-t-il les ailes de même que Phaëton, le fils du soleil, qui chute du char de son père qu’il n’était parvenu à maîtriser. Quel sentiment les animait sinon une aspiration simple au bonheur, bonheur qui leur est refusé très nettement par les dieux, attachés à leurs prérogatives ? Ces malheureux en quête de bonheur ont alors tôt fait d’être relégués au rôle d’êtres présomptueux, nuisibles pour les autres et devant être châtiés de manière exemplaire pour rappeler à chacun son devoir de soumission.

Certains jours je me dis que je suis cet être étrange, mi-homme et mi-ange… un ange aux rêves intacts en dépit de tout ce qui flétrit mes ailes depuis si longtemps. Ai-je été insouciant longuement dans ma vie ? Je l’ignore mais sans doute pas plus des trois premières années de ma vie. Il y a bien cette innocence et candeur qui me collent à la peau mais elles forment une armure bien dérisoire face à la folie destructrice et au mépris de certains hommes. Je me suis aussi réfugié dans la poésie et dans la foi en la bonté humaine, une bonté que je veux reconnaître partout, y compris chez les gens qui me blessent. Pour le reste, je ne m’en remets à aucune force surhumaine : quand j’étais à la dérive, j’ai trop vu ceux qui me blessaient, heureux et drapés dans la dignité de leur foi, pour croire qu’un regard et une main sont là pour me soutenir. La mort hantait mes jours et mes nuits d’adolescent, silencieux sur ses maux afin de ne pas causer de souci à mes parents. Et les autres riaient, me crachaient à la figure, m’insultaient et me frappaient.

Je voulais m’élever, oui… voler, oui… et voilà quel fut mon pain quotidien… un pain noir et rassis que seules mes larmes venaient attendrir. J’ai chuté… enfant innocent, aspirant à un bonheur simple mais aspiré par le tourbillon implacable de la vie… sans doute avais-je, aux yeux de ces mythes, dépassé déjà les bornes de ce que l’humain peut espérer et que tel fut alors mon châtiment.

Après l’avoir surmonté tant bien que mal – chantier de reconstruction toujours en cours – je pensais que mon amour de la vie serait enfin comblé, que rien de ces petits bonheurs simples que je désire ne me serait refusé. J’ai eu il est vrai beaucoup de bonheurs ces dernières années mais l’un d’eux m’a toujours manqué et résiste de manière systématique à mes appels.

C’est comme si une puissance malfaisante m’avait interdit d’être amoureux, ou plutôt d’être aimé car moi j’aime… C’est bien cela un ange d’ailleurs… un être asexué, du moins qui paraît asexué. « Tu es trop bien… tu es trop bon… tu es trop ceci… trop cela… bla bla bla… ». Tu me regardes mais tu n’oses pas me toucher… tu admires mon âme mais le corps qui l’enveloppe demeure mystérieusement invisible à ton regard… tu t’enfuies bientôt et nos amours naissantes, déjà condamnées au trépas, sombrent de l’aube au crépuscule. Pourquoi la chair m’est-elle interdite ? Je l’ignore, moi qui voudrais brûler mes ailes dans des bras tendres et accueillants. Je ne renonce pas… je n’ai jamais renoncé… mais dès que je me réjouis un peu de ce qui m’arrive de bon dans ce domaine, dès que mon cœur s’allège par le contact d’un autre coeur, dès que j’entre dans l’espérance, je sais déjà qu’un mécanisme aussi implacable que cruel est enclenché pour détruire ce qui émerge à peine de mes rêves, pour me renvoyer à ma condition d’humain qui s’approche trop du bonheur parfait, un bonheur qu’il n’est pas permis de savourer. Cruauté suprême, j’ai toujours le temps de sentir les effluves du bonheur à défaut de l’atteindre… et malgré ma prudence et ma patience, je finis toujours par me laisser emporter par un certain enthousiasme et une sorte de joie profonde, un laps de temps suffisant pour commencer à révéler aux autres ce bonheur… je n’ai pas fini d’annoncer à tous la bonne nouvelle qu’il me faut déjà en annonçant une autre… mauvaise…

Je ferme les yeux. Je vois une mer vive, aux vagues puissantes qui viennent me rafraîchir... J’aime regarder la mer car elle est le reflet de ce ciel qui m’est interdit… vas pour ce pâle reflet alors et espérons qu’il adoucisse ma chute…

La chute de l’Ange Mohamed Abouelouakar

lundi 20 août 2007

Un bloggeur tunisien a son musée !!!!


En voyant cette affiche, j'ai été frappé... en effet, l'emploi curieux d'une majuscule pour "La" fait qu'on peut facilement lire le prénom Lamine.
J'ai alors pensé immédiatement à notre cher Lamine de Sidi Bou Saïd, l'heureux auteur du blog Oueld Sidi Bou Saïd.
Cela fait presque trois mois que Laminou n'a rien écrit sur son blog alors j'espère qu'il va vite nous revenir d'une façon ou d'une autre.
C'est l'occasion pour moi de rappeler qu'en terme de filiation blogosphérique, Lamine est mon grand-père. :) Eh oui, je suis plus vieux que mon grand-père ! Curieux...! Mais je suis aussi plus vieux que mon père blogosphérique, SkyDancer. :)
L'énergie et l'enthousiasme de leur jeunesse se sont transmis à moi avec bonheur et je ne les en remercierai jamais assez. Allez, tant que j'y suis, je salue mon arrière-grand-père blogosphérique, Adib.


Quant à Lamine j'espère que ce n'est pas à cause de son musée qu'il n'écrit plus sur son blog ! On l'a peut être empaillé ou rangé dans une réserve poussiéreuse du musée, qui sait ?! Ce serait dommage en tout cas ! Alors espérons son retour pour bientôt.

lundi 13 août 2007

Séquoia

Ô mon cher Séquoia je pense à toi,
A ta masse singulière et imposante
Qui me rassure… et à ta puissante
Énergie qui suscite mon émoi.

Riche de joies ainsi que de peines
Ton être se révèle à cette écorce
Qu’à découvrir je m’efforce,
En explorant tes longues veines.

Tes rameaux majestueux et tendres
J’ai le désir qu’ils m’enserrent,
Sentiment d’une beauté austère
Qu’il me tarde d’enfin apprendre.

Loin de toi, je songe à l’évidence
Que tu représentes dans ma vie,
A ton éternité apaisante, à l’envie
Que j’aie d’une douce renaissance.

Auprès de toi, je voudrais pousser,
Être, demeurer à jamais ton bonzaï
Au cœur dévoué couleur de corail,
Et laisser ton ombre me caresser.

Savourons ensemble cette félicité
Et que nos racines s’entrelacent,
Œuvre d’harmonie et de grâce,
Symbole merveilleux de liberté.




lundi 6 août 2007

Quelques pensées ferroviaires...

J’arrive près de la gare. Tu es assis sur un banc. Tu m’appelles… par mon prénom : « ****, je t’ai reconnu ! ». Je tourne la tête vers toi et je te regarde avec étonnement : « moi aussi, °°°°, je t’ai reconnu ». Je t’offre mon plus beau sourire, le visage illuminé. Je songe en moi-même… « Comment connaît-il mon prénom ? Comment s’en souvient-il ? »

On se connaît de vue… on était dans la même école… mais c’est si lointain ! Et on ne risquait pas de partager trop de temps ensemble : ta famille est l’une des plus « connue » du quartier… Entre ta mère qui est morte d’overdose et ceux de ta famille qui ont fréquenté la prison pour trafic, on peut dire que tes chances d’avoir une jeunesse structurée étaient faibles… et donc les chances pour que nous soyons socialement en contact étaient faibles, vue l’éducation stricte que j’ai reçue. Tu avais parfois de gros billets de banque dans tes poches… on te faisait faire les livraisons, sans doute. Pendant des années nous ne nous sommes pas du tout vu alors qu’on habite dans ce quartier depuis toujours.

Cela étant dit, il y a une chose qui attire systématiquement mon attention et ma bienveillance… la mémoire ! Que quelqu’un m’appelle par mon prénom et je vais vers lui, quelque soit l’idée que je peux avoir de lui. Malheureusement je n’ai pas pu m’arrêter pour discuter avec toi car je devais prendre mon train… j’espère te revoir… j’aimerai parler un peu avec toi… savoir ce que tu as fait… savoir s’il te reste encore quelques espoirs… te rappeler l’importance de la liberté… je te parlerai si tu es seul… mais si tu es avec tes copains un peu louches, je n’oserai jamais discuter avec toi…


Cousine, on s’est longtemps cherché à la gare de Lyon… on a presque mis autant de temps à se trouver dans la gare qu’il ne t’en faut pour faire le vol Tunis-Paris ! On attendait tous les deux au « bon endroit », à l’entrée de la voie A , devant la boutique de restauration rapide Pomme de Pain… Je t’avais donné ce point de rendez-vous, pensant qu’il serait le plus commode possible pour chacun de nous… une totale réussite !

Appel téléphonique au bout d’un quart d’heure après l’heure initiale du rendez-vous :

- Tu es où ?

- Comme on a dit… à l’entrée de la voie A , devant la Pomme de Pain ! Et toi ?

- Moi aussi je suis à l’entrée de la voie A , devant la Pomme de Pain !

- Ah bon ? on devrait se voir alors !

- Oui.

Cinq minutes plus tard, nouvel appel téléphonique :

- Apparemment il y a un problème ! Tu es bien à l’entrée de la voie A , devant la Pomme de Pain ?

- Oui.

- Ah…

Ce petit jeu a duré encore un petit moment jusqu’à ce qu’un mot anodin nous fasse comprendre qu’on était chacun à une entrée de la voie A … moi à l’entrée en surface… et toi à l’entrée souterraine en milieu du quai de la voie A … et comble de bonheur, la gare de Lyon est infestée de magasins La Pomme de Pain, ce qui fait que les deux points distants où nous étions répondaient à la description du point de rendez-vous que j’avais fixé…

Arghhhhhhhhhhhh… quel cauchemar… heureusement tu es patiente et moi de même… et par la suite tout s’est bien passé et nous avons bien profité de nos promenades dans Paris.


Je suis dans le train… presque arrivé chez moi… je te regarde au loin comme je regarde tout le monde… ma curiosité… tu es un beur de banlieue… tu n’es pas assis mais tu circules dans le wagon… Tu viens finalement t’asseoir non loin de moi… je dirige mon regard vers toi, histoire de regarder ce que tu comptes faire. Il y a en banlieue cette sorte de regard animal que l’on se jette tous, à l’affût des gestes de l’autre. Après avoir croisé ton regard, il s’avère que tu m’as l’air parfaitement pacifique donc je retombe dans mes propres pensées.

Mais brusquement tu te retrouves assis à côté de moi… je dirige à nouveau ton regard vers toi Je suis un peu étonné… inquiet aussi. Je comprends que tu as fait une sorte d’approche progressive. Dès que nos regards se croisent tu prends un air étrange… tu cherches à attirer ma compassion avant même d’avoir ouvert la bouche. Déjà je me dis en moi-même « Toi, tu as quelque chose à me demander ? ». Et tu me parles enfin : « Mon frère, il me manque 50 centimes pour m’acheter un sandwich… ». Je souris… je sais déjà que je vais te donner la pièce… tu m’as déjà conquis par ton talent maladroit de comédien ! Je ne peux m’empêcher de te taquiner : « Tu es sûr que c’est pour acheter un sandwich ? ». J’aimerais simplement que tu me dises la vérité et que tu n’ailles pas dire ensuite « je me suis bien foutu de sa gueule » ; tu insistes avec ton histoire de sandwich pas du tout crédible… je suis un peu déçu… j’étais prêt à te donner le double de ce que tu m’a demandé (= un euro) si tu m’avais dit la vérité… tant pis pour toi alors… je te donne juste les 50 centimes que tu m’as demandés ! J’ai droit aux remerciements d’usage, toujours avec la même mine piteuse « merci mon Frère ».

Je t’oublie vite, songeant que j’ai certainement contribué à t’encourager dans un vice tel que le tabagisme… les mendiants du tagabisme sont devenus légions ces dernières années… on me réclame sans arrêt des cigarettes et moi je réponds toujours comme un idiot « je suis désolé… je ne fume pas ». « Je suis désolé »… voilà, c’est moi qui me sens obligé de présenter des excuses parce que je n’ai jamais fumé une seule cigarette de ma vie… le monde à l’envers… !

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Je te dédie cette note, mon très cher Marou, à l’occasion du premier anniversaire de ton blog, le bien nommé port des idées fuyantes, ce mercredi. Modestie, gentillesse, culture, sensibilité, tolérance, poésie, fidélité, tendresse, grandeur d’âme, … quelques mots qui me viennent à l’âme en pensant à toi, mon Ange.

Tu as écrit régulièrement des notes intitulées « à bon entendeur » dans lesquelles tu cites de grands auteurs. Permets moi aujourd’hui de citer deux extraits de ton propre blog… anciens mais qui correspondent parfaitement à ce moment symbolique où une année s’achève pour faire place à une autre :


Pour renaître il faut d’abord mourir. Il me faut réécrire mes lignes, redéfinir mon être et réinventer mes sens. Ce vide en moi que j’essaye depuis très longtemps de remplir avec des mots, des connaissances et des idées n’a besoin que d’une seule chose ; d’une âme. (…) Alors pour renaître, [mon autre moi] doit mourir et c’est à moi qu’incombe la tache de le tuer ; lui arracher la vie comme si je m’arrachais une épine vénéneuse.


Si un jour je meurs / Plantes au-dessus de ma tombe un arbre / Car je ne veux pas de lettres de marbres / Et n’y déposes jamais de fleurs // Je veux que ma couche soit vivante / Que tu viennes y chercher de l’ombre / Pleurer tes heures sombres / Et me chanter des berceuses charmantes // Je veux que ma couche soit grouillante / Que le rouge-gorge y trouve un nid / Me raconte ses infinis / Et dissipe mon fantôme qui te hante // Si un jour je meurs / Ne me laisses pas glisser dans le silence / Mais joues moi les musiques de l’absence / Et racontes moi les tourments de ton cœur // Quand tu auras planté l’arbre sur ma chair / Et qu’après l’hiver il eut fleuri / Je veux que tu manges de ses fruits / Et que tu en offres à ceux qui te sont cher.