jeudi 7 février 2013

La nausée

Combien de temps l’État tunisien va-t-il encore nier la situation dramatique dans laquelle se trouve la Tunisie ? Jusqu’à quand négligera-t-il d’agir au nom du fondement démocratique qui devrait théoriquement l’animer ? Jusqu’où le gouvernement laissera-t-il aller les criminels extrémistes avec une mollesse à peine voilée ?


Il est inutile d’enfumer les gens avec des discours vaseux quand les actes, commandés par l’État lui-même ou du moins inspiré par sa doctrine manifeste du laisser-faire, témoignent de l’inverse.

Pour certains, tout va plutôt bien en Tunisie. On se permet même de faire, comme au bon vieux temps de Ben Ali, la morale aux médias étrangers pour leur reprocher d’alerter inutilement les potentiels touristes, sans parler des consciences interpellées par la succession incalculable désormais des incidents qui sont intervenus depuis plus de deux ans. Face à ces gesticulations, aussi grossières qu’inutiles, les faits parlent d’eux-mêmes : la Tunisie n’est jamais sortie du trouble où elle se trouve depuis la fuite de son dictateur… Si le décor et les acteurs ont changé, le drame se poursuit avec les mêmes « ingrédients : terreur et intimidation, assassinat, dégradation du patrimoine collectif au nom d’intérêts partisans. La seule différence de taille : les opprimés d’hier se sont faits les oppresseurs d’aujourd’hui. Quoi de plus simple dans un pays qui n’a pas véritablement grandi en termes de citoyenneté pendant cinquante ans et qui tient donc plus aujourd'hui du géant aux pieds d’argile qu’à une démocratie solidement établie.

Il y a deux ans, je disais ici même que tout était à faire et qu’on ne pouvait regarder l’avenir sans une certaine angoisse : "Qui peut décemment affirmer de quoi sera fait Demain sans le moindre frisson ?". Que tous ceux qui ont fait preuve d'un excès d’optimisme, louable et compréhensible, se réveillent tant que cela est encore possible car, chaque jour un peu plus, tandis que le sang d’un esprit libre coule ou qu’un mausolée sacré se consume, c’est l’âme de la Tunisie qui meurt un peu plus encore. De la dictature nationale-socialiste néo-destourienne au règne déjà bien avancé des extrémistes religieux, il n’y a qu’un pas sans doute déjà largement franchi. Songeons que même les pays les plus rigoristes en matière religieuse possèdent leurs éléments incontrôlés avec des « débordements » bien connus. Le jeu dangereux du gouvernement tunisien, sa passivité manifeste, la volonté de chaos espérée par certains qui pensent en tirer profit, n’est qu’une vue de l’esprit tout à fait chimérique. Au-delà d’un certain point, personne ne pourra plus dire qu’il contrôle quoi que ce soit et chacun deviendra l'ennemi de l'autre.

Comme il n’est jamais trop tard pour essayer de bien faire et tenter de revenir à une situation plus saine, il est essentiel, pour ne pas dire vital, d’insuffler immédiatement de réels changements : une action résolue, concertée et massive en faveur de la démocratie et la défense des valeurs fondamentales d’un État de droit : liberté, paix civile et sociale, … Tous ceux qui croient en l'idéal démocratique doivent se mobiliser où qu’ils soient, avec les moyens dont ils disposent, par amour pour la liberté, par respect pour l'identité plurielle tunisienne et pour la mémoire de ceux qui ont souffert, pour épargner aux nouvelles générations des maux inacceptables et qui ne doivent absolument pas perdurer plus longtemps.

Si rien ne change maintenant, dans cinq ans, la Tunisie sera l’Algérie des années 1990 ou peut-être même l’Iran… c'est à dire l'ombre d'elle-même.