lundi 24 janvier 2022

Le risque d'écrire

 Écrire c'est se dévoiler définitivement, du moins à travers une image particulière que l'on veut donner de soi et qui oscille entre la sincérité, chez les uns, et la fausseté, chez les autres. J'ai choisi la voie de la sincérité. À chaque fois c'est pareil ; je mesure le risque, je le prends et je me ronge le sang en espérant que cela passe, que ce choix de la sincérité fasse oublier que certains mots sont sans doute moins faciles que d'autres à lire, qu'ils déplairont peut-être, qu'ils troubleront sans doute. Mais les mots ne sont-ils pas faits justement pour cela ? Éveiller la conscience de l'autre, témoigner d'une attention sensible même si cela frôle parfois l'incident diplomatique. Écrire c'est nécessairement faire certaines erreurs, avec l'espoir de l'indulgence, le souhait que l'intention prime sur la forme et qu'elle puisse excuser le fonds. Écrire c'est agir, ne pas se résigner à être toujours spectateur et à se laisser déporter là où l'on ne voudrait pas nécessairement aller. Écrire c'est regretter ce que l'on n'a pas, ce que l'on n'a plus ou pas encore. Écrire c'est espérer qu'un mot, un seul, touche sa cible, ravage l'âme ou le cœur de l'autre par sa justesse ou sa beauté. Un seul mot... un mot seul et qui n'est peut être pas écrit mais se dégage des autres. Amour, amitié, poésie... Si tu vois ce mot, tu me pardonneras sans doute les autres. Écrire c'est expérimenter, seul, au bord du précipice, dans la solitude, pour ouvrir un chemin que l'on veut adoucir aux autres. Écrire c'est vouloir ne pas oublier le moment présent et lui garder une certaine fraîcheur. Écrire c'est aimer intensément.




mardi 7 avril 2020

Retourne-toi





Il n'est rien de pire que la sagesse populaire : "Qui vivra, verra...", "Tel père, tel fils", "En avril, ne te découvre pas d'un fil", "Café bouillu, café foutu", ... Ces dogmes populaires tuent la confiance de l'individu et ruinent son imaginaire. Et voilà que, en plus de ces paroles bien incrustées dans l'esprit ou de ces mots derrière lesquels on n'hésite pas à se voiler, certains aphorismes viennent s'inviter dans notre quotidien en chargeant les murs de leur pesante obscurité.

"Ne te retourne pas, tu pourrais raviver tes blessures"...  c'est ce que pourrait dire un réverbère agoraphobe, lassé que des passants distraits sans cesse ne le percutent ! Faut-il pour autant s'interdire de regarder le passé et est-il plus sûr de l'ignorer ? Raviver ses blessures c'est ne pas les avoir pansées et vivre sur des ruines qui menacent notre équilibre. C'est croire aussi que le présent peut se défaire du passé et que l'avenir peut tout autant l'ignorer.

La vie se conjugue à tous les temps. Si le présent est le tronc d'un arbre et si l'avenir est formé de ses branches, feuilles et fruits, peut-on imaginer que cet arbre résistera à la tempête sans de solides racines ? Le passé n'est pas un refuge, pas plus que ne doit l'être l'avenir, mais sa force est d'avoir été, d'être encore, d'être toujours, quand demain n'est qu'hypothèse ou conjecture.

Alors oui, retourne-toi, retourne même en enfer tel Orphée s'il le faut, revis ton Odyssée,  retraverse le désert, ressens à nouveau la faim, la soif et le froid... et ainsi tu sauras qui tu es et ce que tu as, le chemin que tu as parcouru et les atouts qui pourront t'aider demain.

samedi 23 novembre 2019

L'âne de Chemtou




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D. rendit l'âme le jour où je visitais Chemtou... la nouvelle me parvint peu après, alors que nous regagnions l'hôtel par un raccourci désert, une route en chantier recouverte de graviers mais pas encore bitumée... Le chauffeur zigzaguait dangereusement sur cette chaussée improbable pour éviter les trous et je crus ma dernière heure aussi arrivée puisque le bus cheminait le long d'un profond ravin. Mon cœur était serré et je pleurais un père spirituel disparu. Le soir, il me parut nécessaire d'honorer sa mémoire en buvant une Celtia, rappeler qui il avait été et ce qu'il avait fait de bon. Quelques heures plus tôt, j'avais vu cet âne qui savourait de la paille dans un paysage à l'antique baigné par le reflet éclatant des marbres de Chemtou. N'était-ce pas là, avec cet animal doux, l'image d'une belle âme ayant trouvé le repos ? Était-ce là un hasard ou un signe ? Je ne saurais l'expliquer... mais on sait depuis Apulée qu'un âne peut cacher un homme.

samedi 16 novembre 2019

1978


Je pense souvent avec sourire à cette photographie d'un jeu vidéo qui figurait dans une exposition d'art contemporain. Si la présence d'un tel "objet" dans ce contexte éminemment culturel était loin de constituer une ineptie à mes yeux - l'art informatique étant sans doute trop ignoré encore -, je m'amusais en vérité de la coïncidence entre le titre de ce jeu et l'année de sa création et il me vint à l'esprit, comme une révélation, que j'étais moi-même membre de cette organisation secrète dont le monde allait apprendre à connaître la mystérieuse invasion !

Que reste-t-il de 1978 en nous, les natifs de ce grand millésime ? À première vue pas grand'chose puisque rien ou presque ne nous distingue à l’œil du commun des mortels. D'ailleurs cette année nous a choisi plus que l'inverse et elle fut assez courte pour certains d'entre nous... et, pire encore, nous n'en gardons aucun souvenir, ce qui vaut peut-être mieux d'ailleurs, certains événements d'alors paraissant à peine dépassés : émeutes du Sahel tunisien en janvier 78, invasion du Liban en mars, la paix - déjà - en Palestine en septembre,  un vent de liberté en Chine au mois de novembre, ... Songer que le temps a passé en quarante ans sans pour autant bouleverser certaines réalités est assez troublant et d'autant plus quand notre propre vie est l'étalon - malheureux - de cette vacuité !

Nous savons cependant aussi ce qu'il est advenu de plus fructueux : des frontières qui sont tombées, des murs qu'on a abattu, des peuples qui ont progressé dans le respect et l'union, le spectre de la guerre à chaque génération repoussé, ... Nous avons certes connu des contre-exemples terrifiants mais notre conscience humaine n'en était pas moins révoltée, déjà orientée sur le chemin irréversible du sensible et de la profondeur d'âme.

Nous avons grandi dans un monde où l'hyper-technologie ne dictait pas sa loi : nous avons regardé sans le filtre de nos téléphones, nous avons rêvé sans artifices, nous avons appris le courage et la patience, le goût de l'apprentissage et de la recherche, nous nous sommes construits à l'abri d'un trop grand formatage, nous avons vibré en écrivant des lettres manuscrites, nous avons pleuré en lisant celles que nous recevions, nous avons vécu, simplement, vécu, oui, avec le temps pour ami, avec la poésie pour compagne.

Nous n'avons pas pour autant été éloignés du progrès ni étrangers à son développement. Nous avons pris la mesure de ce qui pouvait renforcer notre savoir, de ce grâce à quoi nous pouvions nous dépasser. De jeunes spectateurs que nous étions, nous sommes devenus des acteurs conscients, libres et engagés, aujourd'hui dans leur plénitude. Nous commençons sans doute à ressembler à de grandes personnes, avec une conscience qui n'appartient qu'à nous ; nous pouvons déjà raconter nos souvenirs à des jeunes plus jeunes que nous de la moitié de notre âge, avec ce doux mélange de nostalgie et de sérénité.

Si je regarde encore la photographie de ce jeu vidéo c'est aussi parce que je l'avais faite en pensant à toi, Damien, mon "quasi jumeau", toi qui as eu à peine le temps d'avoir quarante ans et qui as depuis retrouvé quelques autres envahisseurs de cette même année là d'où nous étions venus... Je t'imagine, comme sur ce cliché où tu posais, avec grâce, assis sur un chapiteau de colonne corinthien dans le décor majestueux de la baie de Carthage : tu dois y être encore, à regarder d'en haut ceux qui t'aiment et que tu as laissés ici.

jeudi 19 septembre 2019

Mort du tyran de Carthage



 Mort du tyran de Carthage... et souvenir de sa vision quasi spectrale dans les ruines du temple des eaux de Zaghouan, à l'époque où il était encore tout et où nous n'étions rien... En souvenir de toutes celles et de tous ceux qui ont lutté contre lui...