lundi 24 novembre 2008

Musée haut, musée bas

Musée haut, musée bas, de Jean-Michel Ribes, est une comédie consacrée à l'univers des musées et plus globalement à celui de la culture et de l'art. Le film est conçu sous formes de scènes parfois brèves et parfois plus longues - peut-être un peu trop même pour certaines - où évoluent de nombreux personnages appelés à se croiser ou à suivre des trajectoires indépendantes ; l'addition de ces divers tableaux crée une histoire cohérente, celle d'un grand musée, aux riches collections, qui vit intensément, tant dans les salles d'exposition que dans ses coulisses. On peut d'ailleurs dire que c'est ce musée imaginaire qui est la véritable vedette du film.

Comme toute vraie comédie, ce film est une satire sociale qui nous renvoie une image à peine exagérée de certains comportements typiques dont nous sommes parfois les témoins en tant que visiteurs. De même pour ceux qui fréquenteraient les musées par l'envers du décor, ce qui est souvent mon cas, il est aussi très amusant de voir la façon dont sont évoqués les membres du personnel du musée, depuis le directeur jusqu'à la femme de ménage, sans oublier l'autorité de tutelle, ici représentée par le ministre de la Culture.

Tout y passe : visiteur traîné de force au musée, passionné plus ou moins averti qui passe à côté de chefs-d'oeuvre parce qu'il n'apprécie qu'un unique artiste ou un unique courant artistique, individu traversant les salles sans se préoccuper de ce qu'elles contiennent, béotiens qui aimeraient comprendre un peu mieux l'art, sans oublier ceux qui font semblant de tout connaître, mère de famille voulant éveiller ses enfants à l'art, groupe scolaire insupportable, ...

Le directeur du musée, appelé à la moindre difficulté, redoute par dessus tout que son musée, temple de la culture, ne soit envahi par la nature dont l'homme a su, selon lui, si bien s'extraire ; il est loin d'imaginer le drame qui se prépare ! Tel conservateur ne jure que par la pendule de Montaigne, une autre par son exposition d'art africain. Les gardiens du Musée André Malraux s'ouvrent à une visiteuse complaisante de la dureté psychologique de leur métier, qui consiste à vivre dans le beau la journée et de retrouver des choses ordinaires le reste du temps, ce qui totalement insupportable. Quant au ministre de la Culture, il en rappelle un autre avec son col Mao, et l'on perçoit bien la détresse de cet arbitre du bon goût chargé d'inaugurer une exposition d'art photographique contemporain d'un goût très douteux (à noter aussi la présence d'un cardinal !).

Les artistes ne sont pas épargnés, de Léonard de Vinci aux impressionnistes. Mais c'est surtout l'art contemporain qui est moqué, à travers les performances d'artistes : deux excentriques, Sulki et Sulku (qui seront bientôt dans un bâteau !), parlent de l'art de manière pédante entre deux performances tandis que des visiteurs (pas plus de sept à la fois !) sont conviés à former avec leur guide et le gardien l'oeuvre d'art d'un artiste absent. Un jeune artiste homosexuel, poursuivi par sa mère castratrice, va finir par réaliser sous le regard admiratif du public l'oeuvre de sa vie, manifeste artistico-psychanalytique poussé à sa plus rude extrêmité.

Tout ce petit monde évolue donc avec ses acquis, ses certitudes, des caractéristiques touchantes ou agaçantes selon les cas et circonstances... toujours est-il que le drame final, un grand moment burlesque, va tout remettre en question. L'effet d'originalité est garanti et, au delà, c'est peut-être une invitation qui nous est faite à réfléchir sur la notion de musée, de culture, d'art, ...

Le musée représente toujours aujourd'hui une sorte de temple, que ce soit pour ses concepteurs ou ses visiteurs ; l'art y est souvent sacralisé mais la spontanéité humaine vient régulièrement entamer cette sorte d'idéal collectif. L'art appartient en fait à chacun, tel que chacun se le représente et le musée peut alors apparaître tout à fait contradictoire, refuge du conformisme, lieu cristallisant certaines fractures sociales, générateur d'artifice. Il y aurait sans doute beaucoup à dire à ce propos et le film Musée haut, musée bas est là pour nous le rappeler judicieusement et d'agréable façon.


lundi 17 novembre 2008

Jardin d’amour


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Jardin d’amour, ô bel écrin, tu frémis
Du souffle apaisant des tendres amis :
Qu’ils reposent, à jamais entrelacés,
Sur ce palanquin de fleurs parfumées !
Ô jardin d’amour, corbeille prodigue,
Tes pommes, grenades, pavots et figues
Mûrissent, las, hors de portée de cœurs
Qui se croient du Temps les vainqueurs.
Le papillon regagne son arbre à myrrhe
Et le paon plus personne ne l’admire…
Le vent sème une pluie de roses bénites,
Larmes doucereuses d’une Aphrodite,
Amante religieuse pleurant son Adonis
Mais déjà prête à l’oublier avec Pâris.


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mardi 11 novembre 2008

Il y a quatre-vingt-dix ans...

Un matin de novembre, je vous ai rendu visite... Le soleil timide cédait au ciel voilé et le vent frais, mêlé de souffles plus chaleureux, m'envahissait.

À l'horizon vous sembliez former un voile de neige recouvrant cette terre sanglante. Le bruit de mes pas vint seul troubler le silence terrible de vos vies à jamais endormies. Seul parmi vous, réunis tous ensemble, je songeais à la mémoire humaine sélective qui vous tue une seconde fois, peu à peu, inexorablement, tout comme vos plus anciens voisins civils dont les stèles sont à demi effacées ou effondrées. Le paradoxe est que vos tombes sont intactes quand votre souvenir s'éteint lentement et que vos cendres s'assèchent sans larmes.

L'atmosphère dégagée par des tombes est toute symbolique. Si c'est bien évidemment ailleurs que se joue l'essentiel du travail pour une mémoire intelligente, consciente et constructive, ces tombes anciennes peuvent favoriser l'établissement d'un contact plus intime et plus concret avec la période de l'Histoire concernée et plus largement dans ce dialogue que nous devons engager régulièrement entre le passé et le présent. L'émotion, à condition de bien l'encadrer, n'est pas forcément mauvaise pour déclencher chez certaines personnes un processus de pensée constructive.

Il s'agit de s'interroger et, en définitive, de se déterminer personnellement face à ce drame particulier de l'Histoire qui tend à l'universel en ce qu'il incarne la folie humaine, le fratricide ou encore une surenchère devenue impossible à maîtriser ; comme une tragédie antique ou moderne, il s'agit de thèmes qui conservent au-delà du temps toutes leurs significations. Puissent ces tombes ne pas cristalliser les rancoeurs passéistes et stériles ! Puissent ces vies sacrifiées constituer le rappel des excès que nous devons tous éviter et des devoirs de chaque être pour construire un monde plus humaniste !

lundi 3 novembre 2008

« Picasso et les maîtres » : l’Art phagocyté par les Intellectuels

L’exposition Picasso et les maîtres, actuellement présentée au Grand Palais à Paris propose une sélection d’œuvres – dessins, gravures, peintures – de Pablo Picasso (1881-1973) et des maîtres de la peinture qui ont inspiré l’artiste.


Si ce n’est pas la première fois que l’on met ainsi en relation des œuvres entre-elles, une telle concentration de chefs-d’œuvre est exceptionnelle, ce que traduit – dans le domaine des chiffres – la valeur globale estimée des œuvres, plusieurs milliards d’euros, et la prime d’assurance de 790000 euros pour garantir l’exposition.


Ce type de démarche a pour but de souligner les parts respectives de l’héritage et de l’innovation dans l’œuvre d’un artiste, les sources d’inspiration et la création ou la recréation personnelle. Au-delà cela contribue à nous faire réfléchir sur la notion d’échanges entre diverses époques et/ou cultures, montrant que ces échanges existent et que, même dans le cas d’œuvres extrêmement novatrices et originales, la marque du passé et de l’Autre existe en général systématiquement, qu’elle soit discrète ou explicite.


On ne peut donc que s’enthousiasmer à l’idée de voir une telle exposition consacrée à l'œuvre de Pablo Picasso et à ses sources d’inspiration, en l’occurrence représentées par des merveilles. Cependant il y a voir et regarder, effleurer et approfondir. Comme bien souvent les expositions présentées au grand public pâtissent de graves lacunes, généralement récurrentes ; on aura beau jeu ensuite de parler d’exposition « hors normes » car il y a au moins des choses pour lesquelles on n'est pas surpris... et pour lesquelles on préfèrerait l'être si on avait le choix... !


Il faut commencer par déplorer l’ambiance parfois semi-crépusculaire voire crépusculaire des salles de l’exposition : il y a de quoi s’opposer fermement à ce dogme de la scénographie qu'est l’obscurité. La peinture est lumière ; elle devrait répondre à la lumière, une lumière naturelle et non pas une lumière artificielle. Cette dernière est médiocre et ne devrait être employée que comme auxiliaire de la lumière naturelle. À défaut, l’on passe son temps à s’arracher les yeux pour essayer d’apprécier les détails d’une œuvre, certaines étant même victimes d’un effet de brillance qui les rend impossibles à apprécier convenablement. On doit se rapprocher de ces œuvres quand il faudrait au contraire pouvoir prendre un peu de recul pour mieux les apprécier, dans un premier temps, de manière globale.


Le côté variable de la lumière naturelle doit être assumé ; une œuvre vit mieux sous une lumière changeante que sous des spots figés et, même si certaines œuvres nécessitent des conditions particulières d’exposition à la lumière, il est toujours possible d’utiliser des systèmes de voiles ou de filtres pour prévenir les risques potentiels. De nombreux musées modernes se sont dotés de salles d’expositions avec de grandes verrières, laissant largement la lumière naturelle jouer avec les œuvres ; il est d’ailleurs singulier de noter que le Grand Palais a été, grâce à sa sublime grande verrière, un temple de la lumière en 1900 mais il est devenu depuis des décennies un repaire de l’ombre théorisée comme auxiliaire indiscutable et indissociable de l’Art.


Que veut dire en réalité cette pénombre où l’on plonge le visiteur ? Sans doute quelque chose comme « Attention… préparez-vous à vous prosterner… recueillez vous devant la révélation de l’Art ! » Tout est dans le symbole : c’est placer l’Art sur un piédestal et le rendre ainsi peu accessible au commun des mortels.


Ce constat est d’ailleurs renforcé par la pauvreté des explications offertes au visiteur, à moins d’utiliser l’audioguide payant, en plus du billet d’entrée déjà compris entre 8 et 12 euros. Il est honteux de priver le simple visiteur d’informations – car c’est bien ce qui se passe, et de plus en plus régulièrement – et de l’inciter à payer un supplément pour en savoir un peu plus que le néant gratuit ; c’est renforcer un peu plus encore l’inégalité devant la culture. L’audioguide n’est plus une valeur ajoutée, un supplémentaire à une exposition fournissant des informations de qualité : il devient l’unique recours pour être informé à titre onéreux alors que l’on paie déjà suffisamment lpour un service de qualité plus que moyenne si l'on excepte le simple fait de pouvoir contempler les œuvres ou objets. Que les audioguides soient gratuits ou que les organisateurs assument leur responsabilité culturelle à l’égard du public, respectant en cela leur mission !


Notons aussi que l’exposition Picasso et les maîtres commence… par des peintures ! Nulle introduction, nulle préparation du visiteur… il est immédiatement plongé dans les œuvres sans même savoir quelle est la signification de ce que l’on va lui présenter, quelle sera la cohérence de l’ensemble qui va lui permettre de cheminer intelligemment dans l’exposition. Ce n’est qu’au moment de passer dans la seconde salle – séparée de la première par une simple cloison – que le visiteur trouve les premières explications… relatives à ce qu’il vient juste de voir ! Autant dire qu’une fois de plus le parti-pris est clair : déconnecter le plus possible l’œuvre de toute forme d’information et de réflexion.


Les informations relatives aux œuvres sont rédigées en blanc sur un fond gris, ce qui les rend évidemment peu lisible ; comme souvent, aucun commentaire même succinct ne présente chacune des œuvres et on ne trouve que les informations basiques – titre, lieu et date de réalisation, lieu de conservation. Le visiteur est donc censé connaître les œuvres et les informations disponibles ne servent qu’à les identifier et non à les comprendre. Les textes de synthèse affichés dans chaque salle ne dépasse pas une quinzaine de lignes, autant dire pas grand-chose ; eux non plus ne sont pas très lisibles, placés le plus souvent au point névralgique de passage entre deux salles, c'est-à-dire dans un endroit peu confortable pour profiter de ces bribes d’informations et d’analyses.


Le spectateur est donc condamné à voir les œuvres… Dans le meilleur des cas, il peut comprendre un peu de quoi il s’agit, faire quelques rapprochements pas toujours évidents entre les œuvres de Picasso et des autres artistes représentés. Mais il ne faut pas s’attendre à plus d’informations du type « Picasso emprunte telle ou telle chose à telle ou telle œuvre ou tel ou tel artiste… cela s’explique de telle façon… ». Ce serait trop simple et doit manifestement rester l’apanage des connaisseurs, ruinant ainsi l’intérêt même de la démarche de l’exposition à l'égard du grand public. Ce type d’exposition est avant tout organisé par des connaisseurs (ce qui est logique) pour des connaisseurs (ce qui est moins logique, chacun devant pouvoir s’y retrouver), ce pourquoi on met les œuvres dans le noir et pourquoi on donne si peu d’informations intelligentes pour favoriser le goût et la connaissance du grand public.


On part d’un postulat tyrannique qui impose l’idée que l’Art est beau et bon pour tous puisque les connaisseurs apprécient, qu’il n’est nul besoin d’argumenter cette appréciation à destination du grand public. Cela donne en gros « voici l’Art… vois et tais-toi ». C’est un peu comme une vérité révélée qui devrait rester du ressort d’une sorte de clergé, d’un cénacle éclairé estimant devoir épargner la plèbe de toute démarche réflective en lui imposant du préfabriqué .


Je fais partie de ces gens qui n’ont pas de grandes connaissances en peinture – on ne peut hélas pas tout connaître – mais qui sont curieux de nature ; je ne me satisfait nullement de me déplacer en crabe devant des toiles de maîtres, fussent-ils les plus éminents, sans en connaître l’histoire, la symbolique et les relations concrètes avec d’autres œuvres antérieures, contemporaines ou ultérieures. À voir toutes ces expositions qui se suivent et se ressemblent j’ai le sentiment d'être traité comme un idiot privé des éléments lui permettant de mener une véritable réflexion.


Si vous voulez voir de belles œuvres de Picasso et de ses sources d’inspirations, allez voir l’exposition du Grand Palais. Vous verrez de beaux dessins réalisés par Picasso dans son adolescence, notamment des études d’après la statuaire antique qui sont d’une précision et d’une délicatesse incroyables. Pour les autres peintres, ceux qui aiment par exemple Domenikos Theotokopoulos mais qui n’ont pas été en Espagne pourront voir plus d’œuvres de lui dans cette exposition qu’ils n’en ont vues auparavant ; c’est un bonheur pour qui aime ce peintre. De même on a plaisir à retrouver quelques chefs-d’œuvres tels que l’Olympia de Manet pour n’en citer qu’un.


Maintenant si vous voulez comprendre ce que vous voyez, si pour vous l’intérêt va au-delà du simple contact entre l’œil et la toile, il faudra appliquer le célèbre proverbe « aide-toi et le ciel t’aidera ». Donc allez chercher par vous-même les informations que les intellectuels de l’histoire de l’art et de la muséographie, aveuglés par leurs concepts élitistes, rechignent à nous fournir malgré les 4,5 millions d’euros dépensés pour la réalisation de cette exposition.


La conception selon un parcours thématique n’y fait rien car elle tient plus de l’énumération descriptive, intéressante pour appréhender plus facilement les différentes formes de l’œuvre de Picasso mais pas pour les comprendre, faute d'explications détaillées ! Il ne suffit pas d’accrocher des tableaux, même des chefs-d’œuvres, côte à côte pour transmettre le véritable goût de l’Art