mardi 27 mai 2008

Je n'irai pas me coucher sans avoir écrit un poème...

Je m'aperçois avec consternation... en fait je ne m'aperçois pas... je ne le sais que trop... que je n'ai pas écrit de poème depuis bien longtemps ici. C'est pourtant l'une de mes spécialités. Mon âme est pourtant inchangée, toujours aussi à même de s'exprimer par ce mode original. Cela étant dit, il me manque le plus souvent le temps et la concentration nécessaires.

Cette situation est intolérable, je te le concède, Lecteur. Je te tutoie car apparemment je n'ai plus de lecteurs ou si peu que c'est plus simple de te dire tu. Donc rien que pour toi, voici un poème roumien.

L’enfant qui a peur vénère sa chambre

Où il est tel l’abeille fixée dans l’ambre ;

Elle est peuplée de livres et d’espérances :

Autant de soldats chargés de sa défense.

De l’extérieur percent des bruits sourds,

Cris de ceux qui lui refusent leur amour.

L’enfant désire résister... il les ignore,

Inconscient tel qu’il est, jeune matador !

Sa petite chambre est son triste royaume,

Si réduit qu’il tiendrait dans ses paumes.

Qui, hormis lui, voudrait d’un tel domaine

Où, condamné, il porte ses propres chaînes ?

Tel le moine savant ou le pâle prisonnier,

Il est en ce lieu le maître autant que le sujet.

Derrière la vitre, ruisselante de ses larmes,

L’enfant, que son infinie naïveté désarme,

Contemple, glacé, un bestiaire qui, avec rage,

L’observe là, en train d’étouffer dans sa cage.

Dehors, ils le regardent tous, animal blessé

Qu’ils imaginent avoir déjà bien achevé.

Sa voix, exsangue, nourrit l’ultime clameur :

« Qu’ils vivent donc… et moi je meurs... ! »



mercredi 21 mai 2008

Contraste(s)

Contraste(s) saisissant(s)... !

D'un côté les vivants, dynamiques, actifs, hyperactifs même, stressés, ... Toute cette fuite en avant pour échapper à la mort... mais la mort n'a pas à nous poursuivre puisque c'est nous qui allons vers elle.
De l'autre les morts qui reposent paisiblement après avoir finalement cédé aux avances de la grande faucheuse.

D'un côté la verticalité de ces tours de Babel, émergeant d'une terre exsangue, par lesquelles l'homme trompe sa peur en se rapprochant du ciel et matérialise sa puissance dérisoire sur d'autres hommes. .
De l'autre côté l'horizontalité morne de ces dernières demeures juxtaposées où la terre se nourrit des cendres de nos aïeux.

D'un côté les bruits qui nous agressent... les mouvement incessants qui font de nous de simples points qui seraient comme menacés par des astéroïdes arrivant de toute part... la pollution qui comprime nos poitrails et fane nos visages.
De l'autre un cadre immuable où seules la verdure et les fleurs sont éphémères, où le chant des oiseaux émerge d'une atmosphère sereine et où la sensation d'un air plus léger se diffuse en nous.

Deux mondes qui s'ignorent... qui se juxtaposent sans se mêler l'un à l'autre. Les vivants ne voient pas le cimetière. Les morts ne parlent plus... mais si on les regarde ils nous parlent et demandent pourquoi nous les ignorons et pourquoi nous les regardons de très haut pour ne pas les voir. Certains leurs répondront que "tout ce qui est près de la terre est mauvais"... mauvais pour notre conscience, il est vrai !

mardi 13 mai 2008

Un nouveau livre : Carthage à travers les cartes postales

Un nouveau livre est paru depuis quelques semaines à propos de Carthage. Il présente ce site à travers les cartes postales qui ont été diffusées entre 1895 et 1930. Ce livre passionnant, conçu par Skander Sayadi, permet de visualiser Carthage telle qu’elle était il y a maintenant un siècle et de mesurer les changements considérables qui sont intervenus depuis.


Trois facteurs expliquent cette évolution. Le premier, chronologiquement parlant, est le développement du caractère résidentiel de la banlieue nord-est de Tunis et cela dès le XIXe s. Carthage semble moins concernée dans un premier temps que La Marsa mais on y trouve quand même diverses résidences, en particulier le palais beylical de Dermech ainsi que des résidences de hauts-dignitaires. On y trouve encore un ouvrage militaire, la batterie de Borj Jedid, qui subsiste dans l’enceinte de l’actuel palais présidentiel. Les premières villas modernes y apparaissent progressivement. On peut dans le livre se faire une idée de ces diverses habitations plus ou moins luxueuses qui existaient alors ainsi que de l’intensification de leur présence au XXe s.


Le deuxième facteur est la forte empreinte religieuse chrétienne donnée au site dès 1841, année de la construction de la chapelle Saint-Louis sur la colline de Byrsa par le roi des Français, Louis-Philippe I. Plus tard, sous l’influence du cardinal Charles Lavigerie, Carthage devint la ville chrétienne par excellence de la Tunisie et même du Maghreb, avec l’installation des Pères Blancs sur la colline de Byrsa, des Carmélites et des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique sur la colline de Junon ou encore des Sœurs Franciscaines au couvent Sainte-Monique. La Marsa était également concernée par ce phénomène (voir ici). Le bâtiment le plus marquant de cet ensemble est la cathédrale Saint-Louis et Saint-Cyprien de Carthage, réalisée en 1884. Ces diverses implantations sont méthodiquement détaillées et illustrées dans l’ouvrage de Skander Sayadi.


Le troisième facteur est le développement touristique de Carthage, basé sur les richesses archéologiques antiques redécouvertes ainsi que sur tout ce qui relève de la plaisance. Les cartes postales montrent ces vestiges à l’époque de leur redécouverte avec parfois des photographies des fouilles entreprises sous la direction du révérend père blanc Alfred Delattre. Le livre détaille l’ensemble des secteurs archéologiques de Carthage qu’il s’agisse de vestiges puniques (nécropoles ayant livré de spectaculaires sarcophages anthropoïdes, ports, …) ou romains (citernes, théâtre, amphithéâtre, thermes, villas, …) ou encore l’ensemble des basiliques chrétiennes. On découvre aussi le musée Saint-Louis, devenu musée Lavigerie, et ses diverses salles ainsi que le dépôt lapidaire du jardin de la chapelle Saint-Louis. Ce tourisme ne pouvait qu’encourager le développement d’hôtels-restaurants dont certains ont été immortalisés par les photographes.


Accompagnant ces divers phénomènes, le développement de Carthage passe aussi par les progrès de la technique. C’est ainsi qu’une ligne de train reliant La Goulette à La Marsa, et raccordée à la ligne venant de la gare du nord de Tunis, traverse Carthage par l’ouest dès 1874. Un second tracé, plus oriental, lui est substitué en 1908. Des cartes postales illustrent les différentes stations de cette voie ferrée, l’une des toutes premières construites en Tunisie. De même on découvrira le bureau de poste de Carthage, accroché au flanc de la colline de Byrsa, près du jardin de la chapelle Saint-Louis. La technique est encore à l’honneur avec la briqueterie jadis implantée sur l’actuelle plage d’Amilcar.


À travers ces cartes postales c’est un peu aussi l’histoire des autochtones qui se dessine, particulièrement à travers les villages de la Malga, où certaines maisons occupent les citernes antiques, et de Douar Chott, près du cirque romain. Les habitations sont modestes ; des nomades vivant sous la tente sont également visibles. On retrouve aussi les habitants de Carthage au fil des cartes postales où ils posent ou apparaissent s’adonnant à leurs occupations du moment. Sur la colline de Junon un petit cimetière d’époque moderne entoure le mausolée de Sidi Abdelaziz, mort au XVIIIe siècle.


Au-delà de son intérêt remarquable, le livre de Skander Sayadi illustre le développement de l’intérêt croissant des Tunisiens pour l’histoire et le patrimoine de leur sol. Pour ne parler que des cartes postales anciennes, elles ont pendant longtemps surtout intéressé les Européens, en particulier ceux qui avaient séjourné en Tunisie et en éprouvaient une certaine nostalgie. Aujourd’hui, le temps passant, on assiste à un renouvellement des collectionneurs et notamment à la multiplication de jeunes collectionneurs d’origine tunisienne soucieux de contribuer à la préservation de la mémoire de l’histoire récente du sol tunisien. Quand en plus ils ont à cœur de faire partager leur passion et leurs connaissances, on se doit de leur adresser de vifs remerciements et encouragements pour la suite de leurs recherches, espérant qu’ils fassent des émules à l’avenir.


Skander Sayadi, À travers les cartes postales. Carthage. 1895-1930, Alif. Les éditions de la Méditerranée, 2007 (ISBN 978-9973-22-235-0) [http://www.alifeditions.com].


jeudi 8 mai 2008

La boîte noire de mon âme (IV) ou Pensées ramollies par les premières chaleurs estivales

Je me décide enfin à écrire mon texte hebdomadaire. Je ne saurais dire pourquoi j’ai tardé à ce point à l’écrire ; j’avais envie d’écrire ; j’avais même des projets dont certains bien aboutis mais aucun ne s’est finalement concrétisé. Le temps aidant et l’atmosphère ambiante étant plutôt à la veille intellectuelle en cette période de ponts et viaducs, liés aux jours fériés nombreux de ce début mai, j’ai été moi-même plongé dans une forme d’insouciance préjudiciable à la bonne tenue de ce blogounet. Il est donc temps pour moi de me ressaisir et de vous proposer un florilège de mes pensées du moment.


Je passe la journée avec mon grand-frère K. On se promène tranquillement, encadrés par une haie de femmes très spéciales, pas très fraîches pour la plupart mais bien visibles, avec des poitrines opulentes et décolletées. La première n’éveille pas mon attention mais la deuxième et les suivantes viennent me rappeler où nous sommes : rue Saint-Denis, dans un des hauts-lieux historiques de la prostitution parisienne, en début d’après-midi. Toutes ces femmes, à la beauté fanée mais dissimulée par de savants artifices attendent en silence ceux qui viendront les flétrir ; j’en ai le cœur tout retourné. Enfin… nous arrivons à la porte Saint-Denis et j’oublie ce malaise en admirant les trophées d’armes antiques représentés sur cette porte, élevée en 1672 pour célébrer les victoires de Louis XIV qui étendent le territoire français en Franche-Comté et Flandre-Cambrésis-Hainaut au détriment des Espagnols et du Saint-Empire romain germanique. Un arc de triomphe inspiré de l’antiquité pour un souverain qui favorisait dans l’art sous ses diverses formes les références à la grandeur romaine.


Un silence de plus… c’est ce que je devrais me dire mais ce silence n’est pas comme les autres… c’est le tien… un de ceux qui naissent d’un non-dit… les pires car certains semblent devoir être définitifs… Le temps n’efface pas tout certes mais il transforme la pierre solide en un sable qui s’écoule entre nos doigts. La pierre on préfère souvent l’abandonner à l’état de rêve à peine ébauché ; le sable nous échappe et, avec lui, ce que nous avons négligé quand il était encore temps. Le non-dit se veut un voile protecteur appliqué sur les yeux de l’Autre mais ses mailles épaisses laissent filtrer des lueurs conscientes qui ruinent ces intentions et fragilisent la confiance qui devrait régner entre deux êtres liés par une tendresse aimante. Laisse-moi partager tes doutes autant que tes espoirs ! Laisse-moi voir tes peines autant que tes joies !


Je visite une exposition avec un ami : Nanterre et les Parisii, une exposition exposant succinctement les découvertes archéologiques récentes de Nanterre et de la région parisienne relatives à l’époque gauloise. L’exposition, dans une espèce de blockhaus, est relativement petite, sans grand intérêt pour des gens déjà connaisseurs et trop sommaire pour le visiteur néophyte qui risque de ressortir avec beaucoup plus de questions que de réponses. Autre déception, les belles monnaies en or des Parisii ne sont que des copies. La problématique de l’exposition est de savoir si Nanterre était un site important ou non à l’époque gauloise, avant la conquête romaine : force est de constater qu’après avoir vu l’exposition le visiteur lambda pourra difficilement en être convaincu, même si c’est le cas. On ne pourra aussi que s’étonner du sous-titre de l’exposition : « une capitale au temps des Gaulois ? » En dépit du point d’interrogation final, ce sous-titre tente d’inscrire Nanterre dans une continuité historique pour le moins artificielle, de la « capitale gauloise » à la préfecture du département des Hauts-de-Seine, une création récente puisqu’elle a tout juste quarante ans.


Je termine en signalant un nouveau lien : http://tn-pla.net/. C’est un nouvel agrégateur de blogs tunisiens créé par le talentueux Nihed M’Barek. Comme je suis pour la diversité, je souhaite la bienvenue à ce nouveau site tout en adressant mes félicitations à son concepteur.