mardi 13 mai 2008

Un nouveau livre : Carthage à travers les cartes postales

Un nouveau livre est paru depuis quelques semaines à propos de Carthage. Il présente ce site à travers les cartes postales qui ont été diffusées entre 1895 et 1930. Ce livre passionnant, conçu par Skander Sayadi, permet de visualiser Carthage telle qu’elle était il y a maintenant un siècle et de mesurer les changements considérables qui sont intervenus depuis.


Trois facteurs expliquent cette évolution. Le premier, chronologiquement parlant, est le développement du caractère résidentiel de la banlieue nord-est de Tunis et cela dès le XIXe s. Carthage semble moins concernée dans un premier temps que La Marsa mais on y trouve quand même diverses résidences, en particulier le palais beylical de Dermech ainsi que des résidences de hauts-dignitaires. On y trouve encore un ouvrage militaire, la batterie de Borj Jedid, qui subsiste dans l’enceinte de l’actuel palais présidentiel. Les premières villas modernes y apparaissent progressivement. On peut dans le livre se faire une idée de ces diverses habitations plus ou moins luxueuses qui existaient alors ainsi que de l’intensification de leur présence au XXe s.


Le deuxième facteur est la forte empreinte religieuse chrétienne donnée au site dès 1841, année de la construction de la chapelle Saint-Louis sur la colline de Byrsa par le roi des Français, Louis-Philippe I. Plus tard, sous l’influence du cardinal Charles Lavigerie, Carthage devint la ville chrétienne par excellence de la Tunisie et même du Maghreb, avec l’installation des Pères Blancs sur la colline de Byrsa, des Carmélites et des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique sur la colline de Junon ou encore des Sœurs Franciscaines au couvent Sainte-Monique. La Marsa était également concernée par ce phénomène (voir ici). Le bâtiment le plus marquant de cet ensemble est la cathédrale Saint-Louis et Saint-Cyprien de Carthage, réalisée en 1884. Ces diverses implantations sont méthodiquement détaillées et illustrées dans l’ouvrage de Skander Sayadi.


Le troisième facteur est le développement touristique de Carthage, basé sur les richesses archéologiques antiques redécouvertes ainsi que sur tout ce qui relève de la plaisance. Les cartes postales montrent ces vestiges à l’époque de leur redécouverte avec parfois des photographies des fouilles entreprises sous la direction du révérend père blanc Alfred Delattre. Le livre détaille l’ensemble des secteurs archéologiques de Carthage qu’il s’agisse de vestiges puniques (nécropoles ayant livré de spectaculaires sarcophages anthropoïdes, ports, …) ou romains (citernes, théâtre, amphithéâtre, thermes, villas, …) ou encore l’ensemble des basiliques chrétiennes. On découvre aussi le musée Saint-Louis, devenu musée Lavigerie, et ses diverses salles ainsi que le dépôt lapidaire du jardin de la chapelle Saint-Louis. Ce tourisme ne pouvait qu’encourager le développement d’hôtels-restaurants dont certains ont été immortalisés par les photographes.


Accompagnant ces divers phénomènes, le développement de Carthage passe aussi par les progrès de la technique. C’est ainsi qu’une ligne de train reliant La Goulette à La Marsa, et raccordée à la ligne venant de la gare du nord de Tunis, traverse Carthage par l’ouest dès 1874. Un second tracé, plus oriental, lui est substitué en 1908. Des cartes postales illustrent les différentes stations de cette voie ferrée, l’une des toutes premières construites en Tunisie. De même on découvrira le bureau de poste de Carthage, accroché au flanc de la colline de Byrsa, près du jardin de la chapelle Saint-Louis. La technique est encore à l’honneur avec la briqueterie jadis implantée sur l’actuelle plage d’Amilcar.


À travers ces cartes postales c’est un peu aussi l’histoire des autochtones qui se dessine, particulièrement à travers les villages de la Malga, où certaines maisons occupent les citernes antiques, et de Douar Chott, près du cirque romain. Les habitations sont modestes ; des nomades vivant sous la tente sont également visibles. On retrouve aussi les habitants de Carthage au fil des cartes postales où ils posent ou apparaissent s’adonnant à leurs occupations du moment. Sur la colline de Junon un petit cimetière d’époque moderne entoure le mausolée de Sidi Abdelaziz, mort au XVIIIe siècle.


Au-delà de son intérêt remarquable, le livre de Skander Sayadi illustre le développement de l’intérêt croissant des Tunisiens pour l’histoire et le patrimoine de leur sol. Pour ne parler que des cartes postales anciennes, elles ont pendant longtemps surtout intéressé les Européens, en particulier ceux qui avaient séjourné en Tunisie et en éprouvaient une certaine nostalgie. Aujourd’hui, le temps passant, on assiste à un renouvellement des collectionneurs et notamment à la multiplication de jeunes collectionneurs d’origine tunisienne soucieux de contribuer à la préservation de la mémoire de l’histoire récente du sol tunisien. Quand en plus ils ont à cœur de faire partager leur passion et leurs connaissances, on se doit de leur adresser de vifs remerciements et encouragements pour la suite de leurs recherches, espérant qu’ils fassent des émules à l’avenir.


Skander Sayadi, À travers les cartes postales. Carthage. 1895-1930, Alif. Les éditions de la Méditerranée, 2007 (ISBN 978-9973-22-235-0) [http://www.alifeditions.com].


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