mardi 24 mars 2009

« Bonaparte et l’Égypte »

Il reste une petite semaine pour visiter l’exposition en cours de l’Institut du monde arabe, à Paris : Bonaparte et l’Égypte. Feu et lumières ; elle sera ensuite visible au musée des Beaux-Arts d’Arras, du 16 mai au 19 octobre 2009.


Ce n’est pas l’exposition du siècle – l’actuel ou le précédent – mais elle pourrait être utile à ceux qui souhaitent découvrir un évènement fondamental de l’histoire méditerranéenne : l’Expédition d’Égypte.


La visite m’a semblé plus agréable que d’habitude dans cet espace d’exposition de l’Institut du monde arabe que j’ai si souvent parcouru. Le revers de la médaille est que je suis ressorti au bout d’une heure seulement, ce qui tendrait à prouver que j’ai plus révisé mes connaissances que découvert d’abondantes nouveautés qui auraient longuement retenu mon attention.


Bonaparte et l’Égypte… ce titre est trompeur, Bonaparte n’occupant pas une place centrale, hormis au sens figuré puisque son buste trône dans un espace circulaire au cœur de l’exposition. Il eut été plus juste d’intituler l’exposition « L’Égypte de Bonaparte ». Et même ce titre ne ferait pas état du sujet essentiel de l’exposition qui est l’Expédition d’Égypte conduite par Napoléon Bonaparte en 1798 et qui prit fin en 1801.


On pourra regretter, comme souvent, l’indigence du « squelette chronologique » donné à l’exposition ; il est toujours paradoxal de constater ce relatif mépris des dates qui témoigne d’une vision historique où peinent à émerger la dynamique et les diverses articulations. Ce n’est pourtant pas demander l’impossible pour présenter une période d’à peine plus de trois années !


Les circonstances conduisant à l’Expédition d’Égypte semblent ici se réduire à la simple lecture de récits fabuleux de voyageurs du XVIIIème siècle ; il est vrai qu’une exposition d’œuvres-objets se trouve embarrassée quand il s’agit d’illustrer le domaine des idées ! L’Égypte du XVIIIème siècle est elle-aussi présentée trop sommairement, réduite à quelques objets hétéroclites illustrant des artisanats d’excellence (verrerie, ébénisterie, plaquages de nacre, …). De la confrontation des récits de voyages et de ces objets modernes, le visiteur doit aboutir au constat d’un relatif décalage entre l’Égypte sublimée des Européens d’alors, nourris des récits bibliques et des vestiges pharaoniques, et l’Égypte moderne, une belle endormie, attrayante mais sans doute pas autant que dans les rêves de ceux qui la désiraient. Le contexte politique de l’Expédition d’Égypte est pour le moins sacrifié sur cet autel de l’approche culturelle.


Et voilà que sans crier « gare » – sans doute un artifice de la scénographie pour suggérer la fulgurance de l’Expédition – Bonaparte, ses grands savants et ses militaires débarquent en Égypte… et nous voici sans transition au Caire, entourés des membres du Grand Diwan évoqués par leurs portraits ! Exposé de la sorte, le processus d’installation des Français est un peu simpliste. Ensuite seulement vient l’évocation de la conquête à travers la maquette de L’Orient, superbe navire amiral de l’Expédition, et les tableaux évoquant diverses batailles dont celles fameuses des Pyramides (1798) ou d’Aboukir (1799), sans oublier les opérations militaires syro-palestiniennes de 1799, la quasi fuite de Bonaparte la même année – son destin l’appelait en métropole – et l’assassinat du général Kléber en 1800. L’opposition mamelouk est présentée de même que celle des Ottomans, à travers des lettres transmettant les protestations fermes mais polies de la Sublime Porte à l’adresse de Bonaparte, qualifié de « modèle des princes de la nation du Messie, soutien des grands de la secte de Jésus » selon les formules diplomatiques de l’époque. Le rôle des Anglais, pourtant essentiel, est moins identifiable, sauf quand est rappelée in fine la confiscation des collections françaises – notamment la célébrissime Pierre de Rosette – par les Anglais en 1801. On notera toutefois d’intéressantes caricatures anglaises qui font déjà de Buonaparte un tyran sanguinaire, tentant d’ailleurs d’établir un singulier rapprochement entre son caractère et celui de la population locale et soulignant sa relative complaisance à l’égard de l’islam et des Égyptiens – le général français prétendait habilement les avoir libéré des Mamelouks –, tout cela pour mieux justifier les prétentions anglaises sur l’Égypte.


Il faut aussi s’attarder sur les avis à la population égyptienne, rédigés en français et en arabe, grâce aux plombs confisqués à l’Imprimerie Vaticane durant la campagne d’Italie ; ces textes débutent par la canonique invocation à Allah, supposée fonder la légimité de tout pouvoir exercé sur place, y compris par les Français donc !


Si les efforts conjugués des Ottomans et des Anglais firent de l’expédition militaire française un échec, elle eut malgré tout d’importantes répercussions politiques et culturelles. Du côté français, les cent-soixante savants envoyés en Égypte ont étudié et publié leurs observations (architecture, botanique, cartographie, égyptologie, études orientalistes, médecine, zoologie, …) tant dans la revue savante locale, La Décade égyptienne, qu’ultérieurement, dans des travaux personnels – songer au bel exemple de Dominique Vivant-Denon – ainsi que dans la monumentale Description d’Égypte, parue entre 1809 et 1828. Cette dernière traduit l’esprit du siècle des Lumières qui présidait, entre autres choses à l’Expédition d’Égypte, et qu’il faut comparer à la démarche de l’Encyclopédie, dirigée par Denis Diderot et Jean d’Alembert. Esthétiquement parlant c’est aussi le signal de l’essor du style égyptien en Europe et de représentations orientalistes qui gagnent en réalisme même si la dimension fantasmatique demeure conséquente.


C’est aussi et surtout le début d’échanges riches, particulièrement entre la France et l’Égypte, par la volonté de leurs souverains respectifs : envoi à Paris, par le vice-roi Muhammad Ali, d’étudiants égyptiens qui donneront ensuite l’impulsion de la Nahda, la renaissance arabe ; influence réformatrice qui conduit l’Égypte vers l’indépendance vis-à-vis de l’empire ottoman, processus cependant jugulé ensuite par le protectorat britannique ; progrès techniques, particulièrement en matière d’infrastructures et de production économique dont la plus belle réalisation, quelques décennies plus tard, sera le canal de Suez du français Ferdinand de Lesseps. L’Égypte est ainsi le premier pays – encore semi-autonome – arabe à se muer progressivement en un État moderne intégré à la dynamique de développement alors en cours.


Jean-Léon Gérôme, Bonaparte devant le Sphinx, 1868.

mercredi 18 mars 2009

La tête vide...

Ma note hebdomadaire s'est faite attendre, sans doute parce que mes pensées étaient accaparées par ma rencontre de mardi.

J'y songeais depuis dimanche... je défiais le Temps, ses heures et ses secondes... j'exorcisais mes appréhensions et mauvaises expériences. Je tentais aussi de soumettre ma timidité à la raison, à la confiance et à l'espoir.

Le moment de te rencontrer est arrivé. Et là, comme toujours, la grâce d'une rencontre... le bien-être qui s'installe progressivement et repousse mes doutes aussi loin qu'il le peut.

Nos échanges sont plaisants. Une certaine qualité de dialogue s'instaure, tout comme précédemment par mails. Nous errons dans les rues de Paris, toi et moi. Tu sembles apprécier ces instants et j'en suis heureux, songeant à ce jour qui aura manifestement un lendemain, peut-être pas exactement celui dont je rêve mais un lendemain quand-même.

Et puis vient le moment d'une séparation que l'on n'envisage pas autrement que temporaire après de telles conditions satisfaisantes de rencontre. Un simple couloir de métro... un couloir sombre et sale pour m'asséner la triste vérité : point de demain... Encore une décision unilatérale peu honorable...encore cette pauvreté humaine qui ne sait composer les sentiments que de manière sommaire, sans inventivité, sans ce sursaut d'espoir qui devrait nous pousser à concevoir des chemins nouveaux, autant d'alternative à ce qui ne peut en aucun cas être le but unique d'une rencontre.

Au delà de ces quelques heures de bonheur, bonheur factice en ce qui te concerne, il reste encore une fois l'amertume d'une forme de trahison qui se solde par l'incapacité à délivrer autre chose que des coups de poignard à des êtres qui, comme moi, méritent réellement mieux.

Ma tête est vide... je suis épuisé de fatigue et de tout ce qu'un cœur généreux peut espérer mais qu'il n'a pour ainsi dire jamais eu. Demain je me réveillerai à nouveau seul, l'âme nettoyée du sang dont tu l'as barbouillé. L'espoir me fait toujours respirer.

mercredi 11 mars 2009

Trois grâces

Que les mânes de Sandro Botticelli me pardonnent ; ma fantaisie a transformé les trois grâces du Printemps (1477-1478) en trois délicates chandelles d'anniversaire.

Cela fait exactement trois ans aujourd'hui que j'ai commencé à écrire ce blogounet. C'était un samedi quelconque et je ne me doutais pas de ce qui arriverait, de ces trois ans d'écriture, de toute cette vie qui existe à la fois sur le blog et autour de lui.

Ce blog a la particularité d'avoir été alimenté régulièrement sur toute la période, à raison d'un texte par semaine. Je ne suis donc pas le champion du nombre de publication mais celui de la régularité en tout cas. J'ai toujours pensé qu'il fallait du temps pour écrire, pour lire et commenter ; iI faut du temps pour offrir aux autres et s'offrir à soi quelque chose d'un peu de valeur. Le rythme d'un texte par semaine est tout à fait raisonnable de ce point de vue ; il m'a permis de ne jamais vivre dans la dépendance de ce mode d'expression ni dans l'angoisse véritable de la sécheresse des idées.

Je me permets juste, par rapport aux débuts héroïques, de ne plus forcément publier chaque note dans la nuit du dimanche au lundi à minuit... c'était légèrement maniaque de ma part ! A part cela, j
e ne me sens pas du tout las et j'espère bien écrire encore avec le même plaisir pendant un bon moment.


dimanche 1 mars 2009

J’ai été agressé par une beurette

Tout arrive dans la vie… même ce en quoi l’on ne veut pas croire par bonté, même quand on a l’habitude de relativiser tout ce qui nous environne. Autant le dire, l’agression que j’ai récemment subie ne m’a blessé ni physiquement ni moralement. Le terme d’ « agression » me semble toutefois justifié par la nature des mots et des gestes qui ont été dirigés contre moi. Il faut dire aussi que ma gentillesse a évité que cet incident ne prenne des proportions plus graves.


J’étais un soir passé dans un train, en banlieue parisienne, rentrant chez moi, dans la cité où je vis depuis trente ans… Le train s’arrête à chaque station ; à l’une d’elle montent trois individus qui se font immédiatement remarquer : le genre de personnes qu’il vaut mieux ne pas regarder directement car, on le sait, un simple regard peut être dangereux en banlieue.


Pas besoin de regarder d’ailleurs ; il suffit d’écouter et l’on n’en sait déjà que trop en cinq minutes… Il s’agit d’un garçon et de deux filles. Leur intonation est spécifique d’une frange marginale de banlieue… étrange « accent » déconnecté d’une quelconque origine ethnique ou d’une transmission par éducation familiale ou scolaire mais acquis au contact de certains autres jeunes des cités qui prétendent ainsi se reconnaître.


Rapidement, ces trois personnes remplissent de leur « présence vivante » l’ensemble du wagon… on apprend leur prénom et leur origine, toujours sans les avoir regardé : les filles sont d’origine magrébines et le garçon d’origine africaine noire. Ils racontent tout fort ce qu’une personne honnête s’emploie pudiquement à ne révéler qu’à ses proches. Et quelle publicité ?! Dix-sept – dix-huit ans d’âge ; cursus scolaire des plus calamiteux mais bon résultats en revanche en terme de délinquance active – trafic de drogue, troubles de l’ordre public, outrages à agents –, le tout revendiqué avec fierté, les gardes à vue ou convocations judiciaire consécutives étant en quelque sorte leur Légion d’honneur.


Rien ne nous est épargné de ces destins déjà peu glorieux, le tout dans un langage susceptible de générer un suicide collectif sous la Coupole du Quai de Conti. Entendre une jeune femme de dix-huit ans s’écrier fièrement « j’m’en bats les couilles » ou encore « j’te nique ta race » est presque abyssal d’inhumanité… c’est l’âge de la pierre impolie ! Tout comme est affligeant de l’entendre s’extasier quand le garçon lui enseigne une méthode permettant à une caillera – « racaille » en langage des cités – de détrousser une autre caillera [je ne révélerai pas cette fameuse méthode qui n’a rien de glorieuse mais qui semble être efficace]. Notez que ces jeunes, peu solidaires entre eux sortis de leur petit cercle d’intimes, n’ont pas attendu qu’on les qualifie ainsi pour se désigner eux-mêmes de « racailles » mais ils ont leur pudeur donc il faut le leur dire en verlan. Alors évidemment quelque bonne poire viendra pleurer sur le sort de ces pauvres hères, tout en oubliant que d’autres jeunes banlieusards au même profil social sont restés dans le droit chemin et subissent eux-mêmes ces comportements lamentables.


Malgré mon afflixion profonde à devoir supporter de tels propos pendant un laps de temps qui paraît vite devoir être une éternité, ayant malheureusement choisi de m’installer dans le wagon où ils devaient par la suite s’installer, j’en venais presque à me féliciter qu’ils ne se mettent pas à écouter de la musique avec un niveau sonore très élevé ou encore à fumer au mépris de tous quelque substance illicite dont ils se targuent de faire commerce. J’en venais aussi à me dire qu’ils étaient sans doute encore trop « mignons » pour me détrousser, hypothèse toujours à envisager cependant après quelque autre mauvaise surprise antérieure – de simples tentatives heureusement – dans ce domaine.


Je me disais donc qu’il fallait supporter avec courage ces agités du bulbe et leur laisser le bénéfice d’un vague doute. C’était sans compter l’audace de l’une des deux filles qui s’est soudainement levée et est venue s’asseoir face à moi, ruinant du coup ce vague doute que je leur accordais encore. Alerte générale… Pour la première fois, je lève la tête et je regarde donc cette pauvre fille qui trépigne devant moi… pas un premier prix de beauté d’ailleurs mais ce n’est pas grave quand on doute aussi peu de soi, que ce soit de ses charmes et de son intelligence. La tchatche est censée remplacer toute autre qualité présente chez un individu éduqué. J’ai senti alors que cela allait être ma fête, moi qui n’avais pourtant pas pris de billet pour ce fâcheux spectacle.


Cette jeune femme, dix-huit ans, rappelons-le, et qui ne peut terminer une phrase, quasi systématiquement vulgaire, sans jurer « sur le Coran », se met alors à me tripoter les cuisses et les cheveux devant tout le monde en me disant des horreurs du genre « t’es bon… j’te kiffe… j’suis une bombe tu sais… » J’étais tellement sidéré par cette situation que j’ai oublié une bonne part de ce qu’elle m’a dit alors ; cependant j’étais totalement écoeuré de ces mots et gestes d’une vulgarité incroyable. J’ai poliment demandé à cette monstrueuse créature de me laisser tranquille et de cesser ses gestes déplacés. Elle a recommencé à plusieurs reprises, me posant une foule de questions du style « t’es pas marié ? t’as pas d’alliance ? t’es gay ? t’as une copine ? tu bandes ? »


Je ne savais plus trop quoi faire tellement elle me collait comme un véritable chewing-gum d’Hollywood… je n’osais pas être trop rude car, en cas de dérapage, l’homme a toujours tort par rapport à la « faible » femme, c’est bien connu, même si cette jeune femme n’hésite sans doute pas à faire le coup de poing dans son existence si mouvementée. En outre les provocateurs n’attendent parfois qu’un dérapage de la part de celui qu’ils importunent pour mieux lui démolir ensuite la figure… Enfin, il fallait compter sur la réaction à la fois un peu gênée et amusée, de ceux qui accompagnaient cette infâme personne et se méfier d’une éventuelle réaction collective à mon égard ; adepte de la non violence que je suis, je réfléchis toujours à deux fois avant de réagir à ceux qui sont susceptibles, seuls ou en bande, de me frapper ; j’ai assez donné dans ce registre étant adolescent et n’en suis nullement nostalgique.


J’étais vraiment bien en peine pendant plusieurs minutes dans cette situation, pensant que cette fille allait rapidement lâcher prise et tentant de jouer vaguement l’apaisement en ce sens. J’ai fini toutefois par comprendre qu’elle n’avait manifestement pas de limites (moins que moins !) et j’ai fini par me lever hâtivement et gagner la porte du wagon pour échapper à ce calvaire pour le garçon éduqué, gentil et discret que je suis. Le train arrivait heureusement là où je voulais descendre… et ce fut donc une délivrance des plus douces, sachant que j’ai quand même dû presser le pas puisque cette horrible beurette et ses amis descendaient à la même station que moi.