lundi 8 décembre 2008

Les larmes de Mohamed

Mohamed vit en Tunisie. Il a tout pour réussir sa vie. On dirait un ange : il est beau comme un coeur, gentil comme un agneau, pur comme le fut le premier homme, attentionné comme un prince sage et bon... il a conservé une sorte de candeur et de spontanéité que la plupart des gens perdent malheureusement très vite. Il ne triche pas face à ceux qui lui ressemblent ; son coeur intègre sait parler aux coeurs intègres. Il a également de fortes passions, une culture originale et il a fait des études. Et puis tout s'est cassé dans sa tête... certes il n'a pas sombré mais il surnage depuis longtemps déjà entre deux eaux, regardant sa vie lui filer un peu entre les doigts. Sa vie justement lui apparaît fade et il peine à savourer les moments heureux, vécus comme de simples parenthèses obscurcies d'une ombre mélancolique persistante.

Sa vie pourrait être magnifique mais il a un grand poids dans son coeur. Mohamed aime les bras à la fois doux et fermes des hommes ; Mohamed est homosexuel. Il a toujours rêvé d'une belle histoire d'amour ; il aime la tendresse et a effleuré parfois le bonheur. Il aime les mots et, même s'il dit avoir du mal à les formuler, ses messages sont toujours très touchants. Mohamed se demande souvent comment vivre en Tunisie en étant ce qu'il est ; il ne trouve pas de solution et cela le paralyse tant dans sa vie sentimentale que dans l'ensemble de son existence. Il sait en vérité que son idéal ne saurait exister que dans l'exil mais encore faut-il pouvoir partir, en avoir la possibilité matérielle, en avoir aussi la force car il est cruel de ne pouvoir concilier facilement deux aspects fondamentaux de son identité. Souvent il dit qu'il a renoncé à certaines choses, qu'il ne cherche plus son idéal ; il se plaît à croire qu'il recherche l'inverse de ce qu'il veut au fond de lui. Cela est bien triste mais bien compréhensible.

Mohamed a cloisonné sa vie. Sa famille et ses amis ignorent cette blessure qui déchire son coeur. Mépris ou indifférence... on peut effectivement hésiter longtemps entre ces deux perspectives, craindre de tout perdre, voir l'Enfer succéder à l'Enfer. Mohamed ne parle pas à ses amis de l'homosexualité car il craint de les perdre, car il les aime trop pour les perdre. Mohamed a deux profils MSN, deux adresses mails, l'une pour la famille et les amis, l'autre pour discuter avec des garçons comme lui. En cela il ressemble à tant d'autres garçons ayant les mêmes sentiments et les mêmes peurs... et donc les mêmes réflexes.

Mohamed séduit parfois des femmes et il se noie dans ces passions éphémères et destructrices de ce qu'il est véritablement. Comme beaucoup d'homosexuels tunisiens, il songe à se marier pour respecter les apparences et préserver ce respect qu'il craint de perdre en vivant tel qu'il est effectivement. D'autres homosexuels se tournent vers la religion et pensent trouver leur salut dans une sorte de mortification ; l'ancien amoureux de Mohamed est de ceux-ci désormais. Si certains s'accommodent tant bien que mal de ces mensonges que l'on peut au fond comprendre tellement leur détresse est grande et liée à la force du poids social, je ne crois pas que Mohammed serait de ceux qui peuvent cesser de former le moindre rêve, de ceux qui peuvent mentir sans états d'âme. Mohamed a l'âme belle, vagabonde ; la fantaisie est naturelle chez lui ce qui rend d'autant plus douloureux le fait de le voir triste, comme ce goëland aux ailes trop lourdes évoqué par Baudelaire, comme un bel ange qui aurait injustement perdu ses ailes.

La nuit, Mohamed vient me parler souvent sur internet. On partage beaucoup de rires, d'émotions et de confidences. Je dois aussi être fort pour lui, l'écouter, le réconforter parfois et étreindre son âme ; je ne manque jamais de lui rappeler combien je l'aime, qu'il est mon frère, mon ange, ... Et puis vient le silence de la nuit, la solitude du lit où je m'allonge, les draps gelés et parfois mes propres larmes destinées à évacuer certaines confidences douloureuses, chargées d'émotions puissantes et dont il faut se libérer.

Il me parle de suicide parfois et j'ai peur car en parler n'est jamais neutre, même s'il prétend rigoler. C'est clairement l'expression d'une souffrance, une demande d'attention également, un avertissement peut-être. Pour moi c'est forcément le début d'une vigilance accrue, une attention portée à la haute qualité du dialogue. Cela étant dit, tout drame serait de la responsabilité collective d'une société qui ne sait pas rendre heureux certains de ses membres au prétexte qu'ils sont différents. On sait parfaitement que les jeunes homosexuels ont notamment un taux de suicide plus élevés que les autres jeunes à cause de l'isolement où ils sont, du silence qu'ils croient devoir maintenir par peur, du silence qu'on leur oppose aussi souvent. On ne sait pas reconnaître leur détresse, on feint de l'ignorer et puis un jour certains d'entre eux nous quittent et il est trop tard.

Mohamed se confie à moi qui suis si loin de lui par la distance mais si prêt par le coeur. Je fais de mon mieux pour lui mais il faut être lucide ; je suis loin et seul quand il a besoin de proximité et d'être entouré.

Mohamed a beaucoup d'amis... mais il se sent seul malgré tout. Mohamed se sent souvent triste même dans les occasions heureuses. Ses espoirs l'abandonnent, ses rêves se font plus rares ; il a le plus grand mal à avancer dans sa vie désormais et les efforts qu'il doit produire sont d'autant plus difficiles.


Mohamed est peut-être votre frère, votre cousin, votre ami ou collègue... il vous aime et n'ose pas vous parler de ce qu'il est de peur de vous perdre. Vous ne le regardez pas assez pour savoir ou alors vous savez mais ne dites rien ?

Aujourd'hui il vit...

Mais demain... ??!!

Aidez-le avant d'avoir à le pleurer...

Aimez le tel qu'il est...

8 commentaires:

24Faubourg a dit…

j'en ai deja connu des gens comme lui...de deux choses l'une...soit qu'il affronte tout le monde et qu'il prenne sa vie en main...Soit qu'il fait des pieds et des mains pour partir vivre à l'étranger... j'ai un ami qui l'a deja fait...et aujourd'hui il est heureux et épanoui

Roumi a dit…

@24Faubourg : merci pour ton message. Effectivement ceux qui sont le plus heureux sont généralement ceux qui sont partis.

MAD DJERBA a dit…

Il y a beaucoup de chemin à parcourir et comme le dit 24F, la plupart des homosexuels rêvent d'exil.

As-tu lu ce très beau texte ? :

http://gb3t.wordpress.com/2008/11/28/le-pecher-fou-iii/

Roumi a dit…

@Mad Djerba : merci pour ton passage ici. C'est terrible de rêver d'exil quand on est différent.

J'ai lu le texte dont tu as mis le lien ; c'est émouvant en effet.

Anonyme a dit…

coucou cousin! bien longtemps que je ne traine plus sur les blogs ;)

très beau texte .. a bientot

Roumi a dit…

@cameleon : hello ma cousine ! :) Merci pour ton passage et ton regard toujours précieux. A bientôt. :)

boréale a dit…

Quel texte magnifique qui me fait venir les larmes aux yeux ! Je découvre petit à petit votre blog... (d'où une certaine "rétroaction" puisque ce texte a été écrit le 8 décembre dernier déjà). Je l'ai découvert par hasard sur le moteur de recherche et le premier texte de votre blog que j'ai lu fut "la haine de msn". J'y ai d'ailleurs laissé un commentaire mais sous une identité d'anonyme. En effet, depuis, j'ai effectué le grand saut du blog et en ai créé un ; j'apparais donc maintenant sous un pseudo. C'était pour la petite histoire. Ce que je voulais vous dire, c'est que je me délecte de votre blog empreint d'une grande sensibilité. J'en savoure les textes petit à petit (rien ne sert de se presser). Du coup, vous m'avez donné envie de m'y mettre. J'ai toujours beaucoup aimé l'écriture mais l'ai longtemps délaissée, par manque de temps (excuse bidon... car pour des conversations stériles sur msn, là j'avais du temps !) et aussi, peut-être, par peur de ne pas réussir à faire passer ce qui est important pour moi. Toujours est-il que je vais me lancer, en privilégiant la qualité à la quantité. Les débuts risquent d'être tatônnants mais ça vaut le coup d'essayer, surtout dans une période affectivement fragile pour moi. Merci ! C'est en lisant votre blog que le déclic eût lieu. Continuez ainsi, c'est d'une incroyable qualité.

Roumi a dit…

@boréale : merci pour ce commentaire touchant. J'en ai profité pour relire aussi ce texte et cette fois avec la satisfaction de savoir mon Mohamed moins mal en point ces derniers temps.

Je suis très heureux de susciter des vocations ; il est certain qu'en écrivant, je souhaite montrer à tous qu'il est possible d'écrire, ne serait-ce qu'un peu, quand on s'en donne la peine. Il est évident que chacun a des aptitudes différentes dans ce domaine mais l'âme de la démarche est essentielle, quelques soient les aptitudes dont on dispose pour concrétiser cette démarche.

Je souhaite également montrer aussi que cette écriture constitue un apport intéressant tant pour se comprendre personnellement, puisque l'on est amené à prendre une certaine distance par rapport à soi, que pour échanger puisqu'on se donne alors la chance potentielle de partager ses propres expériences ou celles des autres et cela, qu'on écrive des choses personnelles, des choses plus fictives ou encore un savant mélange des deux.

Bon courage alors pour ces débuts dans l'écriture. La simplicité est la meilleure recette en ce domaine.