lundi 11 janvier 2010

De Byzance à Istanbul


"De Byzance à Istanbul. Un port pour deux continents" est l'actuelle exposition (jusqu'au 25 janvier 2010) du Grand Palais, à Paris, organisée dans le cadre de la Saison de la Turquie en France.

Istanbul est certainement la ville à identités multiples par excellence ; elle a en effet changé de noms trois fois, reflets de profonds bouleversements. Byzance la grecque, après son intégration à l'Empire romain, s'accroît soudainement après sa refondation tardive par l'empereur Constantin I qui en fait sa ville, Constantinople. Une ville pensée comme une seconde Rome dans la partie orientale de l'Empire romain. Et tandis que la partie occidentale se délite progressivement sous le coup des ambitions personnelles et de l'éclosion de sous-ensembles politiques et culturels, l'Empire romain d'Orient tient bon, porté par les empereurs byzantins qui parviendront à le maintenir avec des périodes plus ou moins fastes jusqu'en 1453.

La capitale byzantine, idéalement située d'un point de vue stratégique et économique, sera par la suite la clé d'un nouvel empire plus puissant encore, celui des Ottomans, jusqu'à l'éclatement de 1920, consécutif à son engagement aux côtés des empires d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie durant la première guerre mondiale et à l'abolition de 1922, au profit d'un régime républicain sous l'autorité de Mustapha Kemal.

Qui dit ville et capitale dit urbanisme, topographie, ... C'est sans doute là que le bas blesse dans cette exposition tout entière tournée - d'ailleurs sans surprise en vérité - vers les œuvres d'art, ces œuvres si souvent désossées et déconnectées de leur contexte élémentaire. La muséographie nous contraint à une vision purement esthétisante qui réduit au moins de moitié l'intérêt de l'œuvre-objet. Il faut en effet bien chercher pour trouver des explications développées sur les œuvres présentées dans l'exposition et souvent on ne trouve pas. Le visiteur, en plus du prix d'entrée qui n'est pas des plus économique, a la possibilité de payer pour avoir un audioguide qui lui permettra peut-être d'en apprendre un peu plus sur quelques œuvres sélectionnées. Les objets qui nous intéressent, K*** et moi, ne sont de toute façon pas concernés par ce dispositif sonore payant. Nous découvrirons à la sortie de l'exposition que nos questions ne sont pas plus satisfaites par le catalogue de l'exposition consultable à la boutique... un livre de moins à intégrer à ma vaste bibliothèque !

Pour en revenir à la dimension spatiale nécessairement liée à l'évocation de la ville d'Istanbul depuis ses origines, on peut s'étonner que l'exposition ne comporte pas un plan de la ville. Cela paraît incroyable mais c'est vraiment ainsi. Le seul plan d'Istanbul est celui des monuments à coupoles, églises et mosquées, à mi-chemin de l'exposition. Des plans de la ville sont également visibles dans la deuxième partie... mais il s'agit de plans d'époque ottomane et donc pas des plans nécessaires à accompagner l'exposition elle-même !

Plutôt que ce genre de dispositif pédagogique élémentaire, plutôt que de donner plus de détails sur les œuvres-objets, leur fonction, leur symbolique, ... l'exposition préfère mettre en place des dispositifs scénographiques plus impressionnants qu'intelligents. C'est ainsi que l'idée de projeter sur une fausse coupole l'image des décors des édifices à coupole d'Istanbul, églises et mosquées, ne trouverait son sens qu'accompagnée d'un minimum d'explications. Regarder bêtement défiler les diverses images projetées ne présente qu'un intérêt limité ; c'est pourtant bien ce à quoi le visiteur est réduit !

Cette grandeur tapageuse n'est d'ailleurs pas ici à son plus haut niveau car l'ultime salle d'exposition, qui doit représenter près d'un tiers de l'ensemble de la surface visitable, fait l'objet d'une "installation", je pense que le terme n'est pas faux. "Installation" nous renvoie plutôt à l'art contemporain. La salle, immense, comprend quelques vitrines avec des objets hétéroclites par leur époque et nature ; leur seul point commun est leur lieu de découverte, l'ancien port byzantin de Constantinople, récemment exploré pour la construction du métro stanbouliote qui doit relier les rives européenne et asiatique de la ville. Au milieu de la salle des centaines de caisses plates avec des milliers de restes d'amphores suggèrent la silhouette d'une des nombreuses épaves découvertes dans la fouille du port byzantin d'Istanbul. Le deux longs murs de la salle sont animés de projections visuelles du clapotis des eaux du détroit du Bosphore... le tout dans une ambiance crépusculaire puisque cette exposition comme la plupart des autres plonge le visiteur dans l'obscurité, ce que je m'obstinerai à appeler le reliquaire prétentieux des historiens de l'Art jusqu'à ce qu'on nous offre le Jour et la Vie qui va avec.

Sur le plan chronologique, et en faisant abstraction de cette ultime salle démesurée et dont l'intérêt se justifie difficilement, la première moitié de l'exposition est consacrée à Byzance et Constantinople et la seconde à Istanbul. Il y a un déséquilibre manifeste puisque la première moitié part en fait de l'époque protohistorique pour s'achever en 1453, cette date fameuse qui marque la fin de l'empire romain byzantin, soit plusieurs millénaires. De même la période "Byzance", c'est-à-dire l'époque grecque, depuis la fondation de 660 av. J.-C., puis la période romaine républicaine et haut-impériale sont assez vite expédiées. C'est bien là que l'effort pédagogique devrait prendre le relai d'une éventuelle pauvreté du mobilier à présenter ! Mais nous ne saurons pas dans cette exposition à quoi ressemblait la Byzance grecque et haut-impériale, rien de ses monuments n'est vraiment rendu explicite pas plus que sa vie publique, économique ou encore culturelle... seulement quelques bribes, du petit mobilier, des vestiges de monuments funéraires ou encore des éléments statuaires de nature peu explicite à défaut d'informations à ce propos. Je veux bien croire qu'un spécialiste de l'antiquité n'a pas les mêmes attentes que d'autres visiteurs dans ce type d'exposition mais il y a des limites à la vulgarisation par le bas !

La période de l'Antiquité tardive, à partir de la refondation de la ville par Constantin I, fait l'objet d'un traitement plus développé, de même que la période byzantine, avec l'intermède de la période croisée. On a cependant la sensation de ne faire qu'effleurer diverses problématiques comme l'introduction du christianisme ou encore l'iconoclasme. Tout est là ou presque pourtant mais sans ces connexions intellectuelles qui permettent d'entrevoir la profondeur de ce que l'on ne fait qu'effleurer du regard. On a un peu le sentiment d'une boule à facettes qui scintillerait et dont chacun serait supposé capter une part plus ou moins grande de son éclat. Il est certain que ce foisonnement ne peut qu'être encadré ; à défaut, il produit un impression confuse, occulte les points essentiels et focalise sur des aspects plus anecdotiques.

Voilà donc s'il s'agit de butiner, on peut toujours aller voir cette exposition tellement les œuvres sont intéressantes. Si en plus on a de la culture et le goût d'apprendre, on doit pouvoir ressortir de cette exposition un peu plus conscient du brassage culturel qui a fait l'originalité d'Istanbul et plus largement de cette région charnière des Balkans et de l'Asie Mineure. Ce qui est sans doute le plus intéressant, même si ce sont des réflexions que l'on est obligé de se faire à soi-même, c'est le poids du passé dans les réalisations ultérieures, cette impression qu'il existe toujours un socle sur lequel viennent se greffer des nouveautés, de l'obélisque du stade romain aux minarets, de la coupole de l'église Sainte-Sophie à celle de la Mosquée bleue, les motifs iconographiques récurrents, ...La partie de l'exposition consacrée aux Ottomans permet de se familiariser avec une période assez proche et pourtant relativement méconnue ; c'est certainement aussi incontournable de se pencher sur cette culture pour comprendre un peu mieux ce qu'était la Tunisie beylicale, en tant que province de l'empire, avec une part des usages calqués sur ceux d'Istanbul.

Avouons le, il n'y a que des choses belles et intéressantes à voir dans cette exposition. A chacun donc d'essayer d'en faire ce qu'il peut avec les moyens dont il dispose.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Dear Rumi, en lisant ton article, je regrette un peu moins de n'avoir pas pu visiter cette expo.

Roumi a dit…

Disons que des gens intéressés y trouveraient forcément quelques informations utiles... et puis une visite à deux permet d'en profiter plus encore de ce point de vue. :)