dimanche 6 février 2011

Le gardien du site archéologique de Zaghouan licencié... et autres pensées archéologiques et historiques

Le gardien du site archéologique de Zaghouan (cf. ci-dessous) a été récemment licencié... Il montait la garde, l'air sage, impressionnant son monde, toujours dans cette démarche construite du "gardien du temps" - ici le temps passé - et de "phare des consciences", preuve supplémentaire de la vanité de l'humain, poussière éphémère qui se voudrait inaltérable et omnipotente.


L'Archéologie et l'Histoire plus généralement n'ont jamais fait très bon ménage avec la politique... Même si cela a pu donner des résultats tels que la sublime Énéide de Virgile, manifeste poético-politique à la gloire de la monarchie augustéenne, ou encore la superbe Sultanamet Camii, dite La Mosquée bleue, dont la construction à Istanbul, au début du XVIIe siècle, était destinée à altérer la gloire de sa voisine byzantine Sainte-Sophie, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'exemples parmi tant d'autres de l'intrusion du politique dans le processus d'élaboration de la science historique, avec la volonté de présenter le passé sous un jour nouveau qui serait en accord avec des idéaux présents.

La Tunisie du quart de siècle écoulé n'aura pas échappé à cette loi désagréable. C'est ainsi que la mosquée Ben Ali s'est efforcée de couvrir de son ombre les clochers de la défunte cathédrale de Carthage, pourtant privée depuis des décennies de sa vocation première. Ajoutons que cette mosquée a été construite sur une zone archéologique protégée, en plein cœur de Carthage, sans fouilles archéologiques préalables ; le symbole politique contemporain a dans ce cas foulé au pied l'histoire des lieux. On a échappé pour l'heure au projet de statue d'Hannibal ; celle-ci aurait peut-être eu le visage de l'ex-président, tout comme la statue de Vercingétorix à Alésia avait reçu le visage de l'empereur des Français Napoléon III, au XIXe siècle.

Dans un autre domaine, le pouvoir tunisien s'est efforcé de domestiquer l'Histoire et ses acteurs. C'est ainsi notamment qu'a été créée une chaire d'histoire, la
"chaire Ben Ali pour le dialogue des civilisations et des religions", sorte de vitrine prestigieuse destinée à faire oublier, parmi tant d'autres moyens, la nature liberticide du régime alors en place en matière de culture. Il est pénible de songer que des collègues historiens puissent s'être laissés entraîner dans cet asservissement volontaire inspiré par la sphère politique. L'historien doit être un homme libre ; à défaut, il perd une part conséquente de sa crédibilité. Le seul but louable de l'historien doit être de tendre vers une forme d'objectivité, idéal délicat qui ne peut donc souffrir de franches connivences idéologiques.

Il n'est pas plus heureux de songer aux flatteurs qui ont voulu se placer constamment sous les auspices de l'ex-président, célébrant sa supposée bienveillance universelle. Ces viles caresses ont été se glisser jusque dans les premières pages des livres les plus sérieux qui lui étaient dédiés, vantant son intérêt constant pour tout et n'importe quoi, par exemple les mosaïques romaines de Tunisie qu'il aurait quasiment sauvées de ses propres mains à en croire les flagorneries des adeptes de l'encensoir. Pendant ce temps la famille régnante causait de multiples atteintes - ou tentait de le faire - au patrimoine culturel à Carthage ou ailleurs... comme à Zembra, par exemple, havre de paix menacé dans le domaine proche du patrimoine naturel.

Il est temps que chacun reprenne sa place... et pourtant c'est un historien qui est devenu récemment ministre de la Culture, incarnant à lui seul une trilogie "Politique-Histoire-Diplomatie" qui n'est pas encore définitivement enterrée. Elle ne le sera de toute façon pas plus là qu'ailleurs. les honneurs reçus ou espérés faisant perdre régulièrement toute contenance aux esprits les plus modérés. Que dire spécifiquement du nouveau ministre de la Culture ? C'est un homme public et politique : on ne fait pas une carrière dans les institutions internationales sans l'appui du pouvoir, ni sans goût personnel pour le pouvoir. C'est un technocrate de la culture, son action s'étant déroulée dans des instances décisionnelles plus qu'à travers un échange avec le grand public. De même ses travaux universitaires n'ont jamais dépassé le cadre d'une certaine élite scientifique ; il n'est donc pas tellement là par une sorte de légitimité fondée sur un rapport intime à ce qui est populaire.

Il apparaît plutôt comme un administrateur chargé d'expédier des affaires courantes sans doute peu florissantes en ces temps immédiats où la culture ne représente pas une priorité absolue pour un État atteint dans ses fondements politiques. Le fait qu'il soit historien pourrait au moins l'inviter à réformer le fonctionnement de la recherche historique en Tunisie notamment en abolissant le système des coteries qui oppose régulièrement les universités à l'Institut national du patrimoine (INP) ou encore en remisant le système des principautés archéologiques qui fait de chaque site ou musée la quasi-propriété intellectuelle du fonctionnaire chargé d'en assurer la sauvegarde. Le ministre lui-même s'est ainsi constitué une réserve scientifique inaccessible à ses collègues sans son accord et - plus contestable encore - son contrôle. Ce système est malheureusement assez répandu pour l'heure en Tunisie. Alors que s'ouvre une nouvelle ère où chacun se doit d'être plus solidaire et de ne pas accaparer le bien commun, l'exemple doit venir du sommet !

Je terminerai en rappelant la nécessité de sauvegarder le patrimoine tunisien en ces heures difficiles où certains se croient autorisés à prélever une part de l'héritage commun pour leur intérêt personnel. Le pillage archéologique est un grand classique des périodes d'instabilité politique de même qu'il est un élément inévitable des régimes corrompus. Chacun doit donc être vigilant.

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