lundi 21 avril 2008

Lettre à Pierre

Mon cher Pierre ou plutôt devrais-je dire mon Pierrot; comme je l’ai toujours fait depuis que je te connais,


Tout comme toi, j’ai dû mal à être d’accord avec plus d’une personne à la fois, moi en l’occurrence ! En conséquence, je me suis abstenu de verser des larmes pour toi vendredi, je me suis également strictement interdit d’aller me recueillir sur ta tombe et d’y déposer une fleur, de peur de ressembler un peu trop à tout le monde et de sombrer dans une forme d’idolâtrie de circonstance qui n’aurait d’autre effet que d’obscurcir la portée de ton œuvre.


Pour autant il aurait été surprenant et même déplacé de ma part de ne pas parler de toi, évoquer ta mémoire si chère à mon cœur, dire en quelques mots la place que tu tiens dans ma vie depuis longtemps.


J’aimerais bien ne pas répéter ce que tout le monde a dit et dit toujours, à propos de ton génie, de ta perte irremplaçable, de ta liberté de ton si grande qu’on se demande s’il elle serait encore possible aujourd’hui, … D’autres qui sont toujours prompts à éclaire le monde de leur conscience en ont fait ces derniers temps leurs choux gras, notamment Télérama qui t’a consacré une de ses couvertures récentes, emballage tout aussi séduisant que mensonger d’un article indigent de deux pages. On y retrouve ces fameuses banalités dites et redites sur toi depuis vingt ans, le tout mâtiné de ce dogmatisme propre aux intellos gauchistes qui ne semblent pouvoir jouir qu’en s’écoutant penser, incapables de savourer une chose simple pour elle-même et cherchant systématiquement à en tirer des vérités révélées. Tu n’aimais pas spécialement ces gens là d’ailleurs mais eux ils t’aiment beaucoup car tu leur sers bien involontairement de caution régulière.


Moi je tiens à parler de ce lien intime qui nous unit, toi et moi, un petit rien qui devient grand par la magie des mots. A l’âge où l’on passe de l’enfance à l’adolescence, j’ai fait ta connaissance grâce à ma mère. Je ne sais plus bien comment mais je crois qu’elle m’a glissé tout simplement un livre de toi dans les mains… et cela a été le coup de foudre pour quelqu’un à la fois présent et absent ! Le jeune garçon que j’étais en 1988 n’avait en effet pas de souvenir direct de toi. J’ai progressivement voulu tout savoir de toi, comme pour rattraper tout ce temps perdu ; j’ai lu tout ce que tu nous avais laissé avant de disparaître, vaincu par ce cancer que tu avais si souvent défié par les mots. Ainsi le jeune adolescent que j’étais s’est-il imprégné de ta vie et de tes mots à un âge où il aurait été facile de succomber à d’autres délices.


Le fait de te lire et d’entendre ta voix m’a rendu à la vie, m’a sauvé du gouffre où j’étais aspiré à cette époque de mon existence où rien ne me retenait vraiment sinon mes espoirs vacillants, trompés par tant d’épreuves. C’est dans tes mots que je me perdais avec délice, que je me soustrayais aux douleurs extérieures. Tu me faisais rire encore et encore comme personne ne le pouvait alors. Tu me faisais respirer aussi... j’apprenais par cœur certains de tes textes, à la virgule près et je les récitais avec toi. J’aimais ta façon de jouer avec les mots, cette multiplication de sens donnée à tes paroles par une simple respiration parfois, ces chutes innombrables où les phrases les plus anodines connaissaient des dérapages monumentaux. Je parle de ces choses au passé mais cela reste toujours aussi vrai même si l’atmosphère actuelle où je savoure tes écrits est bien plus heureuse.


Je te dois aussi le goût d’écrire. En dépit de ta modestie et de tes protestations à ce sujet, tu étais sans doute l’humoriste le plus talentueux de ce point de vue, non pas d’ailleurs un humoriste lettré mais plutôt un lettré qui use avec bonheur de l’art de faire rire avec à peu près tout, y compris un cintre ou un paquet de piles ! J’ai écrit en essayant de t’imiter d’abord ; si tu l’avais su, tu m’aurais dit d’écrire plutôt à ma façon bien entendu, ce que j’ai fini par faire. Je n’ai pourtant pas cessé tant à l’écrit qu’à l’oral de te citer quand rien de plus éclatant ne se pouvait faire et, le cas échéant, d’emprunter un chemin parallèle au tien pour rire et faire rire autant que possible. Comme toi, je me suis pris des bides parfois mais ma jeunesse me les rendait d’une effroyable solitude ; maintenant j’ai presque atteint ce plaisir que tu avais à lancer un trait d’esprit si précis, aigu et noir sans trop savoir quelle serait la réaction de ton public. Tu m’as aidé à être plus heureux, à convertir ce regard désabusé sur le monde environnant en quelque chose qui a au moins le mérite d’être plus positif pour moi-même et ceux qui m’entourent. Cette petite flamme que tu m’as donnée il y a presque vingt ans fait de toi un père spirituel pour moi ; j’essaie de conserver aussi pieusement que possible ta mémoire.


Avant de refermer cette lettre, mon Pierrot, j’ai une pensée affectueuse pour tes proches, et notamment Hélène, qui ont su préserver dignement ta mémoire.


Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi et je t’embrasse fort.


[http://www.desproges.fr]


Hommage à Pierre Desproges (Journal télévisé d'Antenne 2, 20 avril 1988)

5 commentaires:

Anonyme a dit…

La gratitude reste un sentiment très noble!

Belle lettre
Bravo amigo!

@+++ sur mes rivages

http://rachedelgreco.blogspirit.com

h et m a dit…

je passe juste faire un petit coucou
:)

Roumi a dit…

@el greco : merci de ton passage.

@h&m : tu arrives comme une fleur au printemps. :)

Unknown a dit…

coucou je visite tjrs ton blog biensur mais je suis desolée je laisse pas de comentaire desolée cher roumi bisous

Roumi a dit…

@khaoula : deuxième fleur du printemps, le jour du muguet en plus. :) merci pour ta visite.