lundi 14 juillet 2008

Les vestiges de l’âme : rapports entre archéologie et psychanalyse

Il y a une dizaine d’années, je fis en première année universitaire en archéologie la révélation des liens unissant archéologie et psychanalyse ; il suffit pour s’en convaincre de lire Délires et rêves dans la Gradiva de Jensen, oeuvre d’un certain Sigmund Freud parue il y cent ans. Il s’agit d’une analyse psychanalytique du roman Gradiva, de l’écrivain allemand Wilhelm Jensen, où un archéologue donne vie dans ses pensées, conscientes et inconscientes, à une déesse du nom de Gradiva (« celle qui avance »), représentée sur un bas-relief du musée national d’archéologie de Naples.

Le roman est totalement fascinant parce qu’il exprime le fantasme de tout archéologue – et de beaucoup d’autres – de se plonger dans l’époque qu’il étudie et d’être confronté aux personnes dont il connaît les représentations et une partie de la vie. Quant à l’analyse de Freud, elle est tout aussi troublante et nous renvoie en définitive à un étonnant constat : archéologie et psychanalyse sont intimement liées. Il s’agit, en effet, dans les deux cas d’une sorte de quête du passé, un passé enfoui pour l’un dans les strates du sol et pour l’autre dans les circonvolutions de nos cerveaux.


L’archéologue et le psychanalyste se livrent donc à une démarche qui peut être mise en parallèle quand bien même leurs matériaux d’études ne sont pas strictement identiques. Dans les deux cas il y a un travail de recherches et d’analyse à mener pour exhumer les données existantes mais dissimulées, synthétiser ces données plus ou moins nombreuses, reconstituer certaines lacunes préjudiciables à la compréhension globale et éclairer certains faits du présent à la lumière de ces réalités passées qui ressurgissent.


Chaque fois que je songe à cette convergence des deux disciplines, un léger sourire s’esquisse sur mon visage. C’est que ce rapprochement me parle tout particulièrement à moi qui vibre à travers l’archéologie depuis l’âge de cinq ans et aujourd’hui plus que jamais ; c’est que, en outre, on me reconnaît volontiers des aptitudes à l’exploration des cœurs et des âmes et que je me serais certainement consacré à l’étude de la psychologie humaine si l’archéologie et l’histoire ancienne ne m’en avaient empêché, faute de temps.


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Au-delà de ce constat, on peut s’interroger sur l’attrait que peuvent représenter à nos yeux les vestiges du passé. Ils semblent agir en réalité comme un miroir de l’âme. Les artistes de la période romantique l’ont exprimé d’ailleurs avec justesse à travers leurs interrogations sur la fuite du temps, la vie et la mort ainsi que sur la mélancolie amoureuse. Au passage, on le sait peu, mais François-René de Châteaubriand par exemple s’est essayé un peu à l’archéologie, non seulement par son classique « voyage en Orient » mais aussi par l’exercice pratique de fouilles archéologiques ; il y a là une connexion intéressante entre le geste de l’archéologue et celui de l’écrivain romantique.


Sans doute les vestiges archéologiques sont-ils le reflet de tant d’espoirs ruinés. Sans doute sont-ils également synonymes du temps qui se consume en vain souvent, anéantissant lentement ce que nous essayons de construire. Sans doute sont-ils l’image triste de ce qui résulte du manque de soin où certains laissent parfois ce qu’ils ont bâti de leurs mains ou de leur âme.


L’espoir de l’Immortalité, qui est une des questions « existentielles » récurrentes, périt souvent sous l’effet de la contemplation des ruines. Elles nous rappellent que tout ce que l’humain réalise, avec l’orgueilleuse certitude de l’inaltérabilité, finit toujours pas être balayé, du moins dégradé par les éléments, par le temps assassin. C’est ainsi que les tombeaux, les palais ou les temples, ces montagnes élevées en direction du ciel, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes après quelques siècles. Les contempler c’est contempler, à notre échelle, nos espoirs divers ruinés, nos déceptions multiples ou encore notre impuissance à concevoir l’immortel et à s’en convaincre.


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On pourrait donc croire que les ruines ne sont que le refuge idéal du névrosé lambda que nous sommes tous sans exception à plus ou moins forte dose. Cela étant dit, les ruines étant également des vestiges, l’empreinte survivante du passé, elles symbolisent la nécessité de conserver coûte que coûte quelque espoir et imposent à l’esprit courage et ténacité sans faille. Elles peuvent également donner un sentiment fort d’apaisement, une sorte de sensation d’harmonie temporelle où l’humain est placé entre terre et ciel, entre le matériel et l’immatériel, entre le passé et l’avenir. Solidement ancré au sol, les vestiges ne font qu’un avec lui et ces restes semblent paradoxalement inaltérables. Aussi longtemps qu’on les contemple, on se plait à retrouver telle courbure ou telle faille, telle élévation ou telle perspective, ... le temps semble comme suspendu, comme si l’on venait de saisir une dimension du temps – le passé – qui ne nous appartient pourtant déjà plus.


Certaines sensations sont plus explicitement psychanalytiques. Je prendrai un exemple personnel. Comment expliquer le bien-être que me procure chaque jour depuis longtemps déjà mes pensées quasi permanentes pour l’amphithéâtre d’el Jem ? Ne peut-on y voir comme ce que les Grecs nommaient omphalos, le « nombril du monde », le centre de mon monde, un centre rassurant, semblable à un berceau, une muraille protectrice qui me protège à distance par sa simple évocation après avoir protégé physiquement les Lejmi pendant des siècles. Le concept d’omphalos est relativement universel ; nous cherchons tous à concevoir un monde à notre image, à établir une cosmogonie personnelle. Nous établissons un centre, fixons nos points cardinaux, tout cela dans le double espace géographique et historique. Il est assez logique que l’omphalos personnel puisse se cristalliser parfois sur tel ou tel monument ayant tant bien que mal – ou l’inverse ! – traversé le temps ; ce nombril est assurément le point privilégié où se conjuguent tous les temps – passé, présent et futur – ; il est notre point d’attache, placé entre terre et ciel, entre passé et avenir, dans cette dimension du temps insaisissable que représente le présent.


Ce texte est dédié à celui qui est de nouveau seul…


1 commentaire:

Anonyme a dit…

merci pour ce texte, il m'inspire et me donne une nouvelle direction pour mieux comprendre mes explorations créatrice.

anne-france