mercredi 28 octobre 2009

Agatha Christie et l'archéologie orientale

Agatha Christie (1890-1976) a acquis la célébrité avec ses remarquables romans policiers, particulièrement les séries mettant en scène Hercule Poirot et Jane Marple. Si l'on examine un peu l'ensemble de son œuvre, on découvre un attrait indéniable de l'auteur pour l'archéologie orientale.

En effet, dès 1923, Agatha Christie publie L'Aventure du tombeau égyptien qui illustre la fascination pour les richesses contenues dans certaines tombes égyptiennes inviolées de la Vallée de Rois ; c'est aussi l'une des premières fois qu'est évoquée la fameuse "malédiction du pharaon". Tout conduit donc à relier ce roman à la découverte de la tombe de Toutankhamon en novembre 1922. On sait d'ailleurs qu'Agatha Christie a rencontré Howard Carter, le co-inventeur de la tombe, en 1931, marque certaine de son intérêt pour cette découverte majeure.

En 1927, Agatha Christie fait la connaissance de l'archéologue Max Mallowan (1904-1978) sur le site d'Ur, en Iraq. Ils se plaisent et se marient en 1930. Agatha suivra ensuite Max dans ses campagnes de fouilles annuelles en Syrie et en Iraq des années 1930 aux années 1950.

Plusieurs romans seront inspirés de cette fréquentation régulière du Moyen-orient. C'est le cas du Crime de l'Orient-Express écrit à Istanbul en 1934, dans une chambre de l'hôtel Pera Palace . Dans Meurtre en Mésopotamie (1936), l'intrigue se déroule sur un site archéologique où la femme de l'archéologue est assassinée ; on y découvre aussi un imposteur se faisant passer pour le père Lavigny du couvent des Pères blancs de Carthage. L'Iraq retiendra à nouveau l'attention de la romancière en 1951 avec Rendez vous à Bagdad, une affaire d'espionnage sur fond de guerre froide.

Le roman Mort sur le Nil (1937) est écrit suite à une croisière effectuée en Egypte en 1933 avec Max Mallowan ; les passagers visitent des vestiges pharaoniques qui sont le théâtre d'une tentative d'assassinat. L'intrigue de Rendez-vous avec la mort (1937) se déroule sur le site jordanien de Pétra qui avait déjà été utilisé en 1934 dans La perle de grand prix, une enquête d'une série secondaire menée par Mr Parker Pyne.

En 1945, Agatha Christie publie La Mort n'est pas une fin, un singulier roman inspiré de la traduction d'un papyrus égyptien et qui transpose un scénario criminel dans l'Egypte antique.

L'influence de l'archéologie orientale est donc évidente chez Agatha Christie et il faut noter en parallèle l'absence de références aussi nombreuses à d'autres pans incontournables de l'archéologie méditerranéenne tels que les civilisations grecques et romaines. Peut-être faut-il y voir l'influence de Max Mallowan qui privilégiait les sites antérieurs à l'antiquité gréco-romaine lors de ses recherches ?

Agatha Christie a laissé un témoignage précieux sur son activité archéologique auprès de son époux. Il s'agit du récit Come, tell me how you live : an archeological memoir (La romancière et l'archéologue, pour la version française) paru en 1946. Outre la curiosité que l'on peut éprouver concernant la vie d'une grande romancière, ce récit est précieux pour comprendre l'histoire de la discipline archéologie en Orient et plus généralement dans les pays méditerranéen aux XIXème et XXème siècles. On y apprend par exemple que les archéologues avaient parfois le plus grand mal à recruter des ouvriers de fouille, les populations locales n'éprouvant aucun besoin de gagner de l'argent ; de même les ouvriers rentraient chez eux après avoir reçu leur paie hebdomadaire, ne revenant qu'une fois la somme épuisée. Ce sont de petits détails très réalistes qui s'accumulent avec le regard sensible d'Agatha Christie pour peindre un environnement et une époque.

Il s'agit aussi un témoignage original sur une terre riche et complexe, avec ses caractéristiques culturelles parfois pittoresques quand on songe à l'écart qui peut nous séparer aujourd'hui de certains comportements d'antan ou, au contraire, à la persistance de certains autres. C'est encore un aperçu du difficile apprentissage du vivre ensemble. Les diverses communautés ethniques ou encore religieuses vivaient les unes près des autres sans pour autant éprouver forcément une grande sympathie réciproque ; Agatha Christie évoque les bagarres inter-communautaires sur les chantiers archéologiques, la maltraitance des minorités, la haine religieuse larvée, les nécessaires accommodements avec les autorités locales ou encore les déboires administratifs. Le chauffeur arménien de la mission archéologique rêve d'écraser des Musulmans sur les routes parcourues.... les Musulmans persécutent les hommes "sans Dieu" (les Yézidis) qui préfèrent adorer le Diable pour mieux l'apaiser. Les populations locales sont désorientées de constater que les soldats français de la Syrie mandataire ne viennent pas les forcer à travailler sur le chantier de la mission Mallowan. Il y a mille anecdotes significatives dans ce livre.

C'est un monde trouble décrit à la fois avec humour et crudité, un monde où tous se côtoient sans forcément bien se comprendre. Il faut puiser dans le passé pour appréhender l'enracinement psychologique des gens et s'en inspirer pour analyser certaines problématiques contemporaines qui sont loin d'être nées artificiellement en quelques décennies. Alors que l'on chante souvent les louanges d'un passé faussement idéalisé, il est bon parfois, comme avec le récit d'Agatha Christie, de récolter les fruits du passé pour en tirer le meilleur parti dans nos actes personnels quotidiens. De l'archéologie orientale à la sociologie contemporaine, de la poussière recouvrant les tells mésopotamiens à nos rêves d'avenir, il existe bien une valeur qui transcende les différences : il s'agit de la quête du bonheur et ce dernier réside dans notre capacité à regarder en direction de l'Autre.

Agatha Christie Mallowan, La Romancière et l'archéologue, traduit de l'anglais par Jean-Noël Liaut, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 2006 (ISBN 2-228-90096-6).

7 commentaires:

cactussa a dit…

j'ai adoré cet article!!!je suis passionnée d'archeologie et j'adore Agatha Christie!!:)

Roumi a dit…

merci. :)

shadow a dit…

C'est une de mes romancière préférée!! ^^ mais je ne savais pas qu'elle était aussi archéologue ça explique sa tendance à décrire des lieux anciens avec tant de précision et de zèle...
Merci pour l'info ^^

Roumi a dit…

oui pour moi c'est ma romancière préférée et je passe mon temps à voir les adaptations filmées de ses œuvres, surtout la série des Poirot avec le grand David Suchet. :)
Pour ce qui est de la précision et du zèle, Agatha Christie s'en moquait elle-même en caricaturant les personnages de romanciers ou romancières qui apparaissent parfois dans ses intrigues, par exemple le personnage d'Ariane Oliver qui aide Hercule Poirot à résoudre certaines affaires.

Anonyme a dit…

@ Roumi
Merci pour le post en particulier, le blog en général.
Ariane Oliver n'est pas la caricature d'UNE romancière : c'est l'auto caricature d'A.C elle même avec son détective finlandais (dont j'ai oublié le nom) comme double Hercule Poirot.
une petie citation d'A.C enfin: "Faites comme moi, épousez un archéologue. C'est le seul homme qui vous regardera avec de plus en plus d'intérêt à mesure que passeront les années."

Roumi a dit…

@anonyme : merci. En fait pour les romanciers caricaturés, j'en parlais de manière globale parce qu'il y a aussi par exemple Salomé Otterbourne, romancière alcoolique dans "Mort sur le Nil" ou encore Daniel Clancy, le romancier un peu dérangé de "La Mort dans les nuages". Il est certain qu'Ariane Oliver est très nettement liée à Agatha Christie dont elle est la propre caricature mais en fait tous les personnages de romanciers d'Agatha Christie sont caricaturaux : c'est une façon générale qu'elle a de présenter cette "profession".
Pour la citation, je n'ai pas osé l'écrire tellement elle est célèbre ; elle est faite pour moi en plus. :)

Anonyme a dit…

Aprendi mucho