lundi 23 juillet 2007

Le Maghreb vu dans une tasse de bouillon de viande…

Cette semaine j’ai décidé de ne pas vous ennuyer encore avec mes états d’âme alors je vais faire une parenthèse…
Après la note consacrée récemment aux chromos du chocolatier Delespaul-Havez, j’ai décidé de varier les plaisirs gustatifs en évoquant cette fois le bouillon de viande Liebig… !
La marque Liebig est née à Londres en 1865 ; elle porte le nom d’un grand chimiste allemand, le baron Justus von Liebig (1803-1873), auquel on doit diverses inventions marquantes telles que le chloral (chloroforme), sa « loi du minimum » (ou « loi de Liebig ») qui est à l’origine des techniques modernes d’amendement des sols, notamment à l’azote, ou encore la technique du fameux bouillon.
L’entreprise Liebig, encore aujourd’hui fort active dans le domaine des soupes déshydratées ou liquides, a marqué l’histoire de l’alimentation industrielle en particulier avec ses bouillons, notamment celui de viande, mais encore avec sa célèbre bisque de homard ou plus récemment avec sa PurSoup’ qui, je l’avoue, a souvent trouvé grâce à mes papilles.
Dès 1872, Liebig s’est lancé comme beaucoup d’autres groupes industriels dans la diffusion de chromos publicitaires permettant de fidéliser sa clientèle. Cette activité s’est développée jusqu’en 1975 et s’est traduite par l’édition de 1871 séries de chromos… nombre ô combien impressionnant !
L’une des séries concerne les vestiges romains au Maghreb [références] sous un titre variable selon la langue de diffusion : en allemand il s’agit de Alt-Rom in Afrika (« La présence romaine en Afrique ») tandis qu’en français il s’agit de Vestiges de la domination romaine en Afrique, ce dernier titre étant moins neutre que le précédent et peut-être adapté à la clientèle française, en raison du protectorat français en Tunisie. Cette série se compose de six cartes contenues dans un sachet. Ici je vous présente la série allemande mais chaque série était traduite en diverses langues, celles des pays où les produits Liebig étaient écoulés. La série n'est pas datée mais doit à l'évidence être placée à l'époque coloniale.
Sur la face principale de chaque chromo se trouve une grand illustration avec le titre de la série Alt-Rom in Afrika, suivi de la légende spécifique de chaque illustration. Dans un coin en bas on trouve également une petite vignette avec la représentation d’un produit de la marque Liebig et, dans un philactère, la légende Liebig’s Fleisch-Extrakt (« bouillon de viande Liebig »). Le produit vendu reste donc très visible sur ces chromos contrairement à d’autres où la publicité du produit est cantonnée au verso.
Notre petite visite commence par les « ruines de l’antique Timgad », en Algérie. Elle se poursuit, en Tunisie, « dans les ruines de Carthage » puis à l’ « amphithéâtre d’El Jem (Tunis) ». Elle s’achève en Libye par « l’arc de triomphe de Marc Aurèle à Tripoli », « les tombeaux romains de Tolmeta » et enfin « l’ancienne citadelle de Cyrène ».
Plusieurs éléments sont frappants. D’abord l’absence de site marocain. Il est vrai que le Maroc n’est pas le pays du Maghreb comptant le plus de vestiges impressionnants mais une vue du site de Volubilis pouvait convenir parfaitement à cette série.
De même l’Algérie, avec l’unique site de Timgad, est peu représentée par rapport à la richesse de son patrimoine et de grands sites romains tels que Cherchell, Tipasa, Djemila, Tiddis, Lambèse-Tazoult, Annaba ou Tebessa… ; en outre la vue du temple semble quelque peu fantaisiste et pour tout dire je n’ai pu savoir de quel temple il s’agit… en tout cas manifestement pas ceux du forum ou du Capitole qui n’ont pas tant de colonnes remontées à l’heure actuelle.
La Tunisie, avec deux sites parmi les plus emblématiques, l’aqueduc de Carthage et l’amphithéâtre d’El Jem, est représentée convenablement bien que l’impasse soit faite sur d’autres sites majeurs aux vestiges impressionnants tels que Dougga ou Sbeïtla.
Enfin curieusement la Libye est la mieux représentée avec trois vues.Ce qui est frappant dans cet ensemble c’est le choix de monuments qui ne sont pas parmi les plus significatifs. Plutôt que l’arc de Marc Aurèle et Lucius Verus de Tripoli, on attendait plutôt une vue de Lepcis Magna ou Sabratha. De même, pour les deux site de Cyrénaïque, Ptolémaïs et Cyrène, on pouvait attendre des vues plus impressionnantes.
Parallèlement à cela, toutes ces vues sont « animées » c'est-à-dire qu’elles comportent de nombreux personnages dont la plupart au premier plan et s’adonnant à des activités typiques des représentations orientalisantes : scène de détente pour des nomades à Timgad ; scène pastorale dans les ruines de Carthage ; campement nomade en bordure du village d’El Jem ; scène de marché dans la rue de Tripoli ; caravane de nomades à Tolmeta ; habitation de fortune au pied des ruines romaines de Cyrène.
On y représente la vie des indigènes et plutôt celle des nomades que des sédentaires ; la présence européenne est à peine visible à travers une construction moderne en arrière plan du temple de Timgad ou des constructions allongées à flan de collines à Carthage qui font penser au secteur de la primatiale Saint-Louis et du couvent des Pères-Blancs. L’urbanisme « arabe » est quant à lui présenté à El Jem, Tripoli et en arrière plan à Cyrène.
Plus que la pertinence, la précision et le réalisme, le but de ces représentations est manifestement d’impressionner, de susciter une émotion, … Le côté grandiose et romantique des ruines y est pour beaucoup. A cela s’ajoute la dimension d’un temps tout à la fois en marche (dégradation des monuments) mais aussi suspendu puisque les indigènes semblent reproduire des gestes quasi millénaires. C’est une vision sublimée, quasi paradisiaque d’un environnement tout aussi fécond (verdure nourrissant les moutons, palmiers et source à El Jem, produits vendus au marché de Tripoli, palmeraie de Cyrène) qu’austère (la beauté austère des ruines de Carthage ou de Tolmeta)… La douceur et la simplicité de vivre est mise en avant (délassement des nomades à Timgad et El Jem, sérénité du berger).
Le consommateur de bouillon de viande Liebig recevait donc, à travers ces vues saisissantes et soignées sur le plan esthétique, l’image de régions où tout semblait authentique – la nature et les hommes – et où l’héritage du passé apparaissait extrêmement fort : c’est dans ce type de création artistique que l’Européen, quelque peu déboussolé et nostalgique de modes de vie dilués dans les premières décennies de l’industrialisation, pouvait espérer entrevoir ses propres racines et cultiver les sentiments rassurants que procurent la contemplation du passé.
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1 commentaire:

Roumi a dit…

COMMENTAIRES PRECEDENTS RETRANSCRITS

je ne savait meme pas qu'il y a encore des vistiges romains en lybie !
merci pour l'info, en meme temps ils ont eu surment des raisons olus commerciales de faire ca comme ca, je ne voit pas du tout quels peuvent etre ces raisons mais je suis sur qu'elle existent :)

Ecrit par : ulyssen | lundi, 23 juillet 2007
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@ulyssen : mon cher Habib, même si la Tunisie est riche en vestiges romains, il faut reconnaître que la Libye est encore plus riche dans la mesure où l'état de conservation des sites libyens est globalement meilleur. Donc tu as intérêt à y aller faire un tour ! Commence par les villes de Tripolitaine telles que Tripoli, Lepcis Magna et Sabratha... et laisse la Cyrénaïque pour un second voyage !
Pour ce qui est des raisons de la représentation de trois sites libyens sur ces chromos, il y a forcément une raison comme tu le dis. Peut-être est-lié au fait que Liebig vendait pas mal en Italie ? Dans ce cas cela pouvait flatter les Italiens qui représentaient le pouvoir colonial en Libye... je n'ai pas trouvé pour l'instant moyen de vérifier ce point.

Ecrit par : Roumi | lundi, 23 juillet 2007
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http://tambourbattant.blogspot.com/

Ecrit par : TambourBattant | lundi, 23 juillet 2007
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tres belles tes illustrations... où est ce que tu les as trouvé?

Ecrit par : tonton jacob | lundi, 23 juillet 2007
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c'est intéressant comme histoire ^^
mais sans vouloir faire de l'anti-pub à liebig, je préfère mille fois le bon bouillon de ma maman ou de ma mamie :p

sinon, j'ai découvert hier dans les vieux tiroirs de ma grand mère des pièces de monnaie datant de la période du béy Mohammed Naceur et Amine sous le protectorat français (1891 - 1912 - 1914 - 1916 - 1930 - 1946 - 1947 ) de 2, 5 , 10 et 25 centimes de francs :)
j'ai essayé de faire des photos, mais on n'y voit rien :s
c'est marrant! depuis que je lis ce blog je m'intéresse à l'histoire =D

Ecrit par : h&m | lundi, 23 juillet 2007
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@tonton jacob : bonjour Jacob. J'ai trouvé ces images hier soir dans mon musée personnel... et accessoirement je les ai achetées il y a quelques temps je ne sais plus trop où. :)

@h&m : pour le bouillon, celui de maman ou mamie est bien entendu toujours meilleur. Au passage, je ne sais pas si Liebig fait toujours du bouillon de viande. Je crois qu'ils font surtout de la soupe et du potage maintenant.
C'est bien si tu as trouvé d'anciennes pièces : ce sont donc des francs tunisiens. En fait voici les références d'un livre où tu peux trouver des informations au sujet de ces pièces :
H.Schweikert, Les monnaies tunisiennes depuis 1859. De l'avénement de Mohamed Sadok Pacha Bey à la république tunisienne, 1973.
C'est vraiment très gentil à toi de dire que tu t'intéresses à l'histoire en me lisant ; je pense que l'historien que je suis ne peux pas espérer un meilleur compliment. :) Je te remercie alors et je t'embrasse fort.

Ecrit par : Roumi | lundi, 23 juillet 2007
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Nous on avait des photos sur les boites d'allumettes mais je sais pas si ca existe encore

Ecrit par : marou | lundi, 23 juillet 2007
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@marou : oui effectivement mon Grand il y avait aussi des illustrations sur les boîtes d'allumettes mais bon, comme je n'ai pas vu souvent une boîte d'allumettes, je n'ai pas souvenir des types de représentations qui pouvaient y figurer et je ne sais pas non plus si cela se fait toujours actuellement. Certaines personnes collectionnent les boîtes d'allumettes et s'adonnent de ce fait à la philuménie. :)
J'ai justement trouvé un site qui présente des boîtes d'allumettes anciennes et c'est intéressant à voir : http://boite.allumette.free.fr.

Ecrit par : Roumi | lundi, 23 juillet 2007
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~J AI AVEC ATTENTION TON COMMENT SUR SARKO ET LES OTAGES BULGARES SUR UN BLOG AMI

Ecrit par : elgreco | mercredi, 25 juillet 2007
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j'ai lu avec attention.....

Ecrit par : elgreco | mercredi, 25 juillet 2007
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@el greco : merci Rached. :) Enfin mes commentaires politiques ne sont pas très intéressants. :p Je préfère plutôt te conseiller de mes commentaires ici : http://politicalengineering.blogspot.com/2007/07/7-little-things-about-slaim.html

Ecrit par : Roumi | mercredi, 25 juillet 2007
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amigo,

Je me délecté et instruit en lisant avec passion ton commentaire sur mon ptt Blog voyageur!

Oui, tu as raison!
Portugal, lusophonie et Lusitanie ne sont pas tous dans le mm sac!

Bravo Professeur et Grand Merci

@micalement

Ecrit par : elgreco | samedi, 28 juillet 2007
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@elgreco : merci mon cher Rached. :)

Ecrit par : Roumi | samedi, 28 juillet 2007
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coucou roumi
comment ça va?
smpa ces dessins dans ta note. elles me rappellent les illustrations faites à l'époque coloniale pour vanter les mérites des pays du maghreb aux occidentaux non?
len prlant de soupe liebig, a soupe de ma maman me manque. :)
à bientot

Ecrit par : marioumadebariz | dimanche, 29 juillet 2007
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@mariouma : bonjour. je vais... bien peut-être ? Pas sûr... enfin passons. :)

Généralement les dessins destinés à vanter les mérites du Maghreb à l'époque coloniale mettaient en avant le potentiel économique de ces terres, les aménagements coloniaux, qu'il s'agisse d'équipements financés par des fonds publics ou privés, ou encore les avancées technologiques, scientifiques, ...

Ici c'est réellement autre chose... on ne peut pas à proprement parler de "vanter les mérites"... à moins de considérer que ces images vantent les mérites de l'authenticité !
C'est manifestement une dimension plus symbolique qui se dégage de ces dessins ; on est plus dans "l'image d'Epinal", c'est-à-dire la représentation d'une forme de cliché, en l'occurrence celui d'un monde idéalisé. Il ne s'agissait pas dans le cas présent de vanter l'oeuvre coloniale à travers ces dessins mais plutôt, comme je l'ai écrit dans la note, de renvoyer l'occidental à ses propres interrogations sur son identité personnelle.

Je comprends que la soupe de ta maman te manque ; moi j'ai la soupe de maman aussi souvent que je veux ; je dois dire d'ailleurs que le "beau temps" parisien m'a permis d'en manger plus encore que d'habitude cette année ! J'étais content quand même quand on a arrêté d'en manger, il y a environ un mois parce que cela faisait un peu long depuis l'automne dernier ! :p

Ecrit par : Roumi | dimanche, 29 juillet 2007