lundi 29 janvier 2007

J'aimerais devenir toi

Ton ombre menue se détache à contre-jour d’un décor minéral fascinant de beauté, vision d’un désert simplement empli de solitude et de silence ; tu es venu y méditer, toi qui aimes tant les autres, toi qui leur donnes tant. Tu sembles n’y être plus qu’une poussière, toi qui es si grand, immense par le cœur, l’âme et la main que tu as su tendre à chacun.

Cette image de toi que j’ai vue et dont malheureusement je n’ai pas de copie est devenue brutalement l’évocation sublimée de ton départ, de ce moment où tu nous quittes, nous laissant seuls emprunter notre propre chemin s’en t’avoir pour guide avisé.

Certes tu n’as jamais cherché à te donner l’apparence de la perfection et tu as évoqué sans fards certaines de tes faiblesses. Mais ces faiblesses te rendaient plus humain encore et te rapprochaient plus encore de nous. Il me vient à l’esprit un passage d’une épitaphe romaine qui constitue un parallèle saisissant avec ton existence : « Quant à son métier, ce qu’il a mal fait, qui l’a fait mieux que lui ? Ce qu’il a bien fait, personne d’autre ne l’a fait. Il a vécu comme parmi les dieux, honorable par sa renommée plus que par sa fortune. Après des années, accueilli enfin dans l’éternité, il reste silencieux. »

Une autre épitaphe romaine dit ceci : « il n’a jamais blessé personne, si ce n’est par sa propre mort ». Emmanuelle fend l’air gelé de sa robe d’airain et Paris entend sa plainte lente, sourde et grave qui étreint nos cœurs d’orphelins, meurtris par cette première et unique blessure que tu nous infliges.

En nous abandonnant involontairement, toi qui étais comme un père pour nous tous, toi qui as été notre conscience, tu te retournes et portes sur nous un dernier regard bienveillant qui nous irradie de paix et d’amour. Tu adresses également à chacun de nous ces quelques paroles que j'imagine : « Vole de tes propres ailes ! Continue ce que j’ai fait et fais de nouvelles choses ! »

Je brûle du désir de devenir toi, Héros de l’Amour ! mais il me faudrait être mille fois meilleur que je ne le suis.

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En écrivant cette note d’hommage à quelqu’un que, je l’espère, vous aurez reconnu, je n’ai pu m’empêcher de penser à un des moments les plus complexes de ma vie.

Je devais avoir treize ou quatorze ans. Dans ma classe de collège venait d’arriver S***, un garçon plus âgé que la normale pour le niveau. S*** représentait à la fois l’ombre et la lumière. L ’ombre de sa violence, de son échec scolaire, du rejet qu’il avait de ses parents adoptifs et de son mal-être social. La lumière de son regard, de son visage, de sa sensibilité et de son intelligence, ces deux dernières qualités étant difficiles à percevoir... mais moi je l’avais remarqué. S*** était placé dans un foyer pour jeunes et il était un délinquant.

S***, pourquoi es-tu venu t’asseoir à côté de moi dans la classe ? Pourquoi ai-je été le seul être humain à qui tu parlais vraiment ? Pourquoi me frappais-tu violemment quand tu n’arrivais plus à me parler ? Ces questions hantent mon esprit depuis quinze ans bien que je possède une part des réponses. Je n’ai cessé de penser à toi, espérant que le hasard me ferait te retrouver. En même temps, je me suis toujours demandé dans quel état je te retrouverais, si tu pourrais faire autrement que devenir dealer ou braqueur, mourir à dix-huit ou vingt-cinq ans d’une overdose ou du sida ou encore finir suicidé dans une cellule de prison. A la fin de l’année scolaire, on t’a retiré du collège pour t’envoyer ailleurs, comme un canard boiteux dont personne ne voulait ; je n’ai plus jamais eu de nouvelles de toi. Personne n'a pensé au lien qui s'était créé entre nous.

J’ai connu dans cette classe toutes tes pensées, ton mal-être vertigineux, que tu t'exprimes par la parole ou par des coups. Je souffrais mais j’ai essayé de comprendre tout ce que tu essayais de me dire, quelque soit la façon que tu avais de le faire. La vérité c’est que j’étais très attaché à toi, autant que tu l’étais à moi. En apparence, nous étions l’opposé l’un de l’autre mais, en réalité, au plus profond de nous-même il y avait la même intelligence, la même sensibilité, la même humanité... et aussi la même détresse car nous étions, chacun pour des raisons différentes, dans une crise existentielle.

Ce soir, en pensant à toi, S***, je pleure beaucoup ; dans mes larmes se mêlent des souvenirs tristes et heureux liés à ce jour où tu es venu vers moi dans la classe. Depuis quinze ans et en dépit de ce silence qui nous a finalement séparé, tu restes bien présent dans mon coeur... nous étions deux frères unis par la souffrance et par l’espoir de la surmonter.

1 commentaire:

Roumi a dit…

COMMENTAIRES PRECEDENTS RETRANSCRITS

ce soir tu voyages en archeologue moral et tu observes les hommes au lieu d'observer les pierres , joli periple nocturne .

Ecrit par : chantal | lundi, 29 janvier 2007
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@chantal : merci pour cette belle métaphore. Il est vrai que l'archéologie et l'analyse des sentiments humains s'apparentent à la même démarche et je crois par exemple que Sigmund Freud était l'un des premiers à se faire cette réflexion ! :)
Je ne pourrais pas te dire pourquoi j'ai pensé à S*** préciser cette nuit. Il est réapparu brutalement alors que cela faisait quand même quelques temps que je n'avais pas pensé à lui ; il revient un peu comme un fantôme dans ma vie.
En fait, si, je sais un peu pourquoi j'ai pensé à lui ; après avoir écrit la première partie de la note, je me suis questionné sur mon propre engagement vis à vis des autres et j'ai raconté la situation la plus extrême, celle que peu de gens auraient accepté tant parce qu'elle se rapporte à la première adolescence, un âge où on n'a pas toujours la conscience humaniste très développée et l'envie irrésistible d'aider l'Autre, que parce la main tendue à S*** m'a apporté des choses étranges dont certaines, liées à la violence, ne sont pas ce que j'avais envie de recevoir.
Enfin voilà...
Gros bisous Chantal.

Ecrit par : Roumi | lundi, 29 janvier 2007
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Décidément Roumi, tu ne peux pas faire court. C'est plus fort que toi.

Tu devrais demander qu'on t'emboche pour écrire les scénarios des feuilletons mexicains avec 200 episodes juste pour la première partie :-)

Ecrit par : Heliodore | lundi, 29 janvier 2007
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@heliodore : nan, je peux pas faire court... et c'est comme ça ! :)
Un conseil : tu n'as qu'à lire dix lignes par jour si vraiment ça te fatigue et au bout de sept jours, tu devrais être arrivé au bout. :)
Je n'ai pas l'âme d'un scénariste... inventer des histoires à la Dallas, c'est pas ce qui m'intéresse vraiment tu vois. :)
M'enfin, écoute si tu lis mes notes jusqu'au bout quand même, malgré leur longueur, je te donnerai la croix de chevalier de l'ordre de Roumi pour te récompenser. :)

Ecrit par : Roumi | lundi, 29 janvier 2007
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Nos parents le regardaient avec méfiance, il le savait et il s’en moquait, de toute façon même sa famille l’avait rejeté. A nos yeux, il était une légende, un héros, ses défauts avaient une attirance mystique. Il bravait tous les dangers et tous les interdits, pour nous c’était signe de courage et de liberté. Sous son apparence violente, il y avait un cœur d’or, un esprit noble qui a su fusionner nos âmes. Il ne cessait de dire que nous étions sa famille que le lien sacré de l’amitié défiait n’importe quel lien de sang… Nous lui envions son audace, sa maturité, son regard ironique de la vie et il nous enviait notre naïveté, nos rêves d’adolescence…
Sa disparition a laissé un grand vide dans nos cœurs... peu après le destin nous a dispersé comme le fait le vent avec les feuilles de l’automne. La magie a été interrompue, le train de la vie reprend sa voie et il ne reste que des souvenirs… des souvenirs que ta note a réveillé, j’aurais tant aimé éterniser ces moments de bonheurs où la spontanéité des sentiments bravait la raison...

PS: Désolée pour la longueur de mon commentaire, j'abuse de ta gentillesse mais c'était plus fort que moi, j'ai voulu rendre hommage à cet ami, que son âme repose en paix.

Ecrit par : nature | lundi, 29 janvier 2007
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Encore Bravo, pour cette envolée dans le temps et cette passion cachée pour quelqu'n qui a fait un bref passage dans ta vie

Ecrit par : Téméraire | lundi, 29 janvier 2007
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@Nature : il n'y a pas de problème. Si ce que j'ai écrit t'inspire, c'est très bien. J'aime bien aussi m'inspirer de ce qu'écrivent d'autres personnes pour concevoir mes textes. Donc c'est bien si je suscite également des envies d'écriture. :)
Ce que tu as écrit m'a beaucoup ému. J'avais presque envie, à te lire, de connaître cette personne, par simple curiosité.
La phrase qui m'a évidemment le plus marqué c'est "Il ne cessait de dire que nous étions sa famille que le lien sacré de l’amitié défiait n’importe quel lien de sang…". Cela m'a ému car c'est exactement ma vision des choses ; ce genre de formule est souvent prononcé par des gens qui sont sans famille ou qui cherchent à l'élargir, des gens qui ont un immense besoin d'amour suite à des blessures au coeur.
Garde bien ces beaux souvenirs en toi et ce garçon continuera à vivre au delà de sa mort.

@Téméraire : merci pour ton passage. C'est vrai que le passage concret était bref mais en réalité, je garde cette personne dans mon coeur alors c'est comme si quelque chose existait toujours et pour toujours. :)

Ecrit par : Roumi | lundi, 29 janvier 2007
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Roumi!
bech twalli howa!
yelzmek troum 3alih 9bal ma yroum 3lik!
fhemtni?? romain des bois??
wella ma fhemtnich??
roum ya roumi roum!!!
n'est ce pas Roumi?
:)
:(
" " J" "
akh blek 3rou9 bleki
dima dima
: : : -------: : :

Ecrit par : double x | mercredi, 31 janvier 2007
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@double x : merci pour ton message. :)
J'ai bien aimé la formule "romain des bois" ! :)
J'ai écrit dans la note "Je brûle du désir de devenir toi, Héros de l’Amour ! mais il me faudrait être mille fois meilleur que je ne le suis." ça veut dire que j'aimerais devenir lui mais que c'est impossible en vérité ! Donc pour le reste, je préfère ne pas penser à ce que tu as écrit. :)

Ecrit par : Roumi | mercredi, 31 janvier 2007
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hi roumi,tres interessant ton blog,bcp de culture!je voudrai t'inviter a visiter mon blog si ca te derange pas
http://desperatetngirl.blogspot.com

Ecrit par : miss fifi | vendredi, 02 février 2007
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@miss fifi : merci pour ton passage et tes compliments. J'irai voir ton blog dès que j'aurai un peu de temps. :)

Ecrit par : Roumi | samedi, 03 février 2007
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@Roumi , bonjour , je te lis sans laisser de commentaires , je n'avais pas grand chose chose dire sur des choses trés personnelles ...juste dire que je n'ai jamais eu envie d''être quelqu'un d'autre , j'essaie toujours de faire de mon mieux c'est ma nature , j'ai tendance à penser à l'autre plus qu'à moi même et j'essaie de le comprendre...
On n'a pas besoin d'être quelqu'un d'autres pour faire du bien , ça devait aller de soi...
trés bonne journée Roumi...

Ecrit par : soulef | samedi, 03 février 2007
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tu frequente les delinquants maintenant?
:)
IK

Ecrit par : imperator | samedi, 03 février 2007
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@soulef : en fait, quand je dis que je veux être quelqu'un d'autre, cela ne veut pas dire que je veux être la copie conforme de cette personne, mais simplement que cette personne a de fabuleuses qualités, des qualités exemplaires que tout le monde devrait essayer d'avoir aussi dans une certaine mesure.
C'est une forme d'admiration pour certaines qualités de la personne mais je ne m'identifie pas à sa personnalité dans sa globalité parce que cette personne a fait des choix dans sa vie qui ne sont pas les miens ; cela n'empêche pas néanmoins que ses qualités transcendent sa propre personne et apparaissent aux yeux de tous comme des valeurs essentielles ; c'est pourquoi je peux espérer lui ressembler au moins un peu en essayant de développer des qualités plus ou moins comparables.

@imperator : c'est amusant car mon grand frère K. m'a plus ou moins fait la même remarque hier. Je pense que ce garçon, en dépit de ses actes pas tous très convenables, était intelligent, sensible et méritait le respect, pas pour ses actes mais en tant qu'être humain. Et je dois dire aussi que oui je peux me sentir proches de délinquants dans la mesure où ces gens souffrent et moi j'ai toujours aimé aider ceux qui souffrent... et ceux qui souffrent sont souvent spontanément venus à moi et j'ai fait en sorte de leur donner ce que tout être humain mérite, un peu d'attention, un peu d'affection, ...

Ecrit par : Roumi | samedi, 03 février 2007