Je vais à la Défense pour acheter des jouets à offrir... je ne trouve pas ce que je cherche... je suis déçu... je sors sur la dalle pour respirer l’air frais... Je viens rarement ici, très rarement même. La dernière fois tu étais avec moi et je m’en souviens comme si c’était hier.
Je suis au pied de la Grande Arche de la Défense... elle est écrasante... je veux aller de l’autre côté, vers un endroit qui m’attire irrésistiblement... Je contourne l’arche et je me dirige sans hésiter vers cet endroit où nous nous sommes rendus, toi et moi... en venant pour acheter les jouets, je ne pensais sincèrement pas faire ce pèlerinage, dont je redoute à la fois les avantages – la part de rêve qu’il m’évoquera – et les inconvénients – une mélancolie qui ne pourra qu’être à la mesure du vide que crée ton absence.
La Jetée… c’est une passerelle en bois infiniment longue... je ne sais même pas jusqu’où elle mène ! Elle fait paraît-il quatre cents mètres de longueur. Une barrière en interdit l’accès : « la Jetée est fermée en saison hivernale » indique un panneau ; ici on a le chic pour construire des passerelles glissantes ! Le bois exotique c’est beau, imputrescible... mais ça glisse !
Alors je ne peux pas aller sur cette passerelle... ? Je suis venu pour cela et je ne peux pas... ? Je ressens un pincement au cœur et une certaine frustration... je voulais aller sur cette passerelle... je voulais revivre ces instants avec toi... je me contente donc de m’asseoir juste au bord de la passerelle, près de la barrière... et je regarde en direction de la Jetée.. .
Mes yeux regardent le ciel. C’est un dégradé de blanc, de gris et de noir... le vent fait défiler des nuages à vive allure. Le temps s’écoule sous mes yeux… je baisse les yeux... mes yeux se perdent à l’horizon, là où la passerelle disparaît, perçant son chemin entre deux groupes d’arbres encore verts... mes yeux regardent dans le vide... je pense à toi... à cet endroit où on s’était échangé nos cadeaux, profitant d’une petite pose dans nos pérégrinations. Je pense à cet instant… ce moment si bref... et pourtant il existe... il dure... il est éternel depuis qu’il a eu lieu et, en vérité, c’est comme si nous n’avions jamais quitté ce lieu...
Le temps est comme suspendu... une pie vient se poser sur la barrière... elle est jolie et ses plumes noires ont des reflets verts et violets. Elle va se poser sur la passerelle, de l’autre côté de la barrière... je ne la quitte pas des yeux... elle est la seule présence vivante ici, près de moi, vu que je tourne le dos à la Grande Arche. Je rêve que je suis un oiseau, que je suis, comme elle, libre d’aller de part et d’autre de la barrière, sans contrainte... cet oiseau est plus libre que moi !
Le vent souffle fort... un frisson traverse mon corps... je suis glacé... le vent bat mon visage, se glissant derrière mes lunettes. J’ai toujours le regard perdu au loin, comme si j’étais au milieu de cette Jetée, en pleine tempête… une Jetée sans mer… ou plutôt si, une mer, une mer infinie qui se devine plus qu’elle ne se voit. Elle ne me berce pas cette mer mais me chahute... elle prend mon cœur et le fait trépider comme le mouvement des vagues. Mon cœur se noie... mon âme chavire... tu n’es pas là pour me sortir de l’eau.
Une deuxième pie apparaît... elle se pose aussi sur la passerelle. Ainsi il y a deux êtres sur la passerelles… cette vision me fait l’effet d’un déchirement... je nous vois alors tous les deux, à la place de ces deux oiseaux, symbole de cette liberté que nous avions aussi lorsque nous repoussions ensemble les limites du Temps...
La barrière n’est plus une barrière... elle est un miroir, un miroir à travers lequel on peut voir le passé, notre passé... mes yeux sont pleins de larmes d’émotion, mélange de joie et tristesse, et se mélangent avec l’eau qui commence à tomber du ciel menaçant. Je ne bouge pas. Je regarde les pies, l’infinie de cette Jetée, cette ligne droite, fascinante d’horizontalité comparée aux gratte-ciels du quartier, tous plus élancés les uns que les autres. Je suis au carrefour de l’horizontal et du vertical, comme si tout naissait et convergeait vers ce point où je me trouve. Je me sens poussière au cœur de quelque chose d’exceptionnel... Je sors mon mouchoir ; je m’essuies les yeux et les joues et je me relève, sachant que je viens de vivre un moment d’exception... dix minutes... un bref instant où mon être a touché du doigt sa propre vérité.
1 commentaire:
COMMENTAIRES PRECEDENTS RETRANSCRITS
pourtant j'y vais souvent de ce coté de Paris mais je n'ai pas vu la passerelle (je ferai plus attention la prochaine fois:)).
J'espère que tu iras mieux et que tu garderas en toi que les bons souvenirs... et qu'a la prochaine pluie, tu souriras et tu n'auras pas besoin de sortir ton mouchoir... tu apprécieras les gouttes de pluie qui coulent sur ton visage...en souriant encore et encore.
courage.
Ecrit par : exblonde | lundi, 08 janvier 2007
----------------------------------
@ex blonde : merci pour ton gentil message.
En fait cette passerelle est derrière la grande arche. Ce n'est pas un endroit où vont beaucoup de gens en général ! Mais c'est l'endroit le plus calme évidemment... et le plus beau aussi... vu qu'on ne voit pas trop les tours sinistres du quartier ! :)
En fait, ne t'inquiète pas, je vais bien. C'était un petit moment étrange où l'émotion m'a saisi et où j'ai laissé aller librement mes sentiments. Ce sont toujours des moments qui ne durent pas... des sortes de flashs qui partent aussi vite qu'ils arrivent... mais c'est régulier... et le souvenir que j'ai raconté c'est bel et bien un bon souvenir... en fait, je ne pense qu'aux bons souvenirs ! Mais évidemment quand on s'est trouvé dans un lieu avec quelqu'un et qu'on y retourne seul, on ressent des choses complexes. Je trouve que c'était un beau moment. Et pour moi pleurer c'est souvent quelque chose de beau et pas forcément quelque chose de triste. C'est avant tout un signe d'émotion vive et j'aime mes larmes car elles sont là pour m'indiquer les moments importants où mon corps se laisse envahir par mon âme. :)
Pour ce qui est de mon mouchoir, je le garde toujours sur moi car j'ai des écoulements de larmes involontaires depuis une vingtaine d'années ; le nom de cette maladie bénigne m'échappe mais enfin cela n'a pas grande importance. Il suffit juste de s'essuyer les yeux régulièrement. :)
Ecrit par : Roumi | lundi, 08 janvier 2007
----------------------------------
cool, contente que tout va pour le mieux:) je visiterai l'endroit et je t'en dirai des nouvelles:) moi aussi je garde mon mouchoir avec moi ces derniers temps parce qu'avec le vent froid qu'il y a ici bah forcement il y des degats;)
Ecrit par : exblonde | lundi, 08 janvier 2007
----------------------------------
Quel beau texte. C'est emouvant, c'est fort et emotionnel!!!
Ecrit par : samsoum | lundi, 08 janvier 2007
----------------------------------
@ex blonde : eh oui le vent nous chatouille les yeux, le nez et la gorge ! :)
@samsoum : merci pour ces compliments, Samsoum. Je suis très heureux si ce texte transmet quelque chose à d'autres coeurs que le mien. :)
Ecrit par : Roumi | lundi, 08 janvier 2007
----------------------------------
Roumi! Tes textes sont toujours aussi merveilleusement émouvants.:-)
Ecrit par : marou | lundi, 08 janvier 2007
-----------------------------------
@marou : je suis très touché par ce que tu as écrit. Je te remercie beaucoup pour le bonheur que tu me fais en lisant ce texte. :)
Ecrit par : Roumi | lundi, 08 janvier 2007
----------------------------------
@Roumi :Jolie texte, merci de nous faire partager tes contemplations, tes souvenirs, j’avoue que pour moi les souvenirs ne sont que des pierres qui tombent au fond de la citernes du passé avec des résonance d’adieu, alors qu’en lisant tes notes je me rends bien compte que ce qui est sans partage dans sa vie ne laisse pas de quoi se ressouvenir, les souvenirs tel que tu les écrits, ne sont guère des forme de l’oubli il réinventent lavie, ta façon de faire en sorte que le rêve domine ta vie, afin que la vie ne dévore pas tes rêves...
J'aime bien!
Asma.
Ecrit par : Asma | lundi, 08 janvier 2007
----------------------------------
@Asma : merci pour ce commentaire très soigné et qui mériterait d'être développé en note. :) En effet, "les pierres qui tombent au fond de la citerne du passé avec des résonances d'adieu" est une figure poétique fort heureuse et remarquable qu'il conviendrait de développer.
Les citernes ne sont pas comme des puits sans fond où l'on jette nos souvenirs tels des pierres... Les citernes ont un fond où se déposent les pierres caressées par l'eau... L'eau nettoie nos souvenirs et les rends plus beaux. Nous nous désaltérons de cette eau enrichie de nos souvenirs ; elle est la meilleure, d'autant plus quand ces souvenirs mêlent les vies de plusieurs êtres. L'eau des souvenirs partagés épanche en partie la soif des coeurs inséparables et, pour les autres, elle offre au moins ses reflets éclatants.
Ecrit par : Roumi | mardi, 09 janvier 2007
----------------------------------
cher ami,
Toutes mes félicitations d'avoir remporté haut la main le QUIZ VOYAGEUR 03 de mon Blog!
Parfait! Il fallait certes connaitre cette expression sénégalaise parlant de la Gambie intruse!
Sois gentil de me re-envoyer tes coordonnées pour t'envoyer ta petite encyclopédie CIGV...du Voyage
Bravo et merci de ta participation
@micalement
cigv-hq@planet.tn
el greco
Ecrit par : el greco | vendredi, 12 janvier 2007
----------------------------------
@Rached : merci pour tes félicitations. C'est rare que je remporte un concours ; je n'ai pas trop de chance en général ! Donc là je suis très heureux ! :)
Ecrit par : Roumi | vendredi, 12 janvier 2007
----------------------------------
C'est la première fois que je réagis à ta narration...trop d'émotions
une chanson de la diva me revient à l'esprit "al atlal" et Dieu sait ce qu'elle peut nous ébranler intérieurement
Moi, j'aime bien me retremper dans l'ambiance d'ayam zammen et parfois sinon souvent avec beaucoup d'émotions!
Je voudrais par ailleurs te communiquer les noms de quelques ouvrages tunisiens portant sur les proverbes, je citerai :
"TUNISIE sève nouvelle par André DEMEERSEMAN, édité par les Etablissements Casterman, Tournai (Belgique) et diffusé pour la France par la Maison Casterman, à Paris ---------
"Proverbes Tunisiens " de Hedi BALEGH, chroniqueur au Journal La Presse , edition 1993 ( proverbes choisis et traduits)
" un ouvrage (dont je n'ai pas le nom exact) du Dr Tahar KHEMIRI
à titre d'exemple ::Ta paupière est seule à pleurer pour toi, ton ongle est seul à déchirer ton visage::: ---Pour les grandes douleurs, chacun pleure dans la solitude.
Ecrit par : zahraten | vendredi, 12 janvier 2007
-----------------------------------
@zahraten : je te remercie beaucoup pour ce commentaire plein de sensibilité. C'est très touchant.
D'autre part, je te remercie pour ces pistes de lecture que j'essaierai de suivre, du moins pour Demeerseman et Khemiri.
Pour ce qui est des deux livres d'Hedi Balegh, tu me rappelles de grands souvenirs... ceux de ma quête pour me procurer ces deux livres. Ne les trouvant pas de manière classique, je me suis adressé à la librairie Avicenne à Paris et je tairai pudiquement mes désillusions en ce lieu. J'ai fini alors, après plusieurs mois de recherches, à trouver deux miraculeux exemplaires qui trainaient dans une librairie, je sais pas où en France, et qui venaient d'être référencés sur un site internet. J'étais heureux ce jour là... merci de m'avoir rappelé cet étrange souvenir ! :)
"Ta paupière est seule à pleurer pour toi, ton ongle est seul à déchirer ton visage::: ---Pour les grandes douleurs, chacun pleure dans la solitude."
Ce texte m'a bouleversé et m'a parlé pour certaines raisons.
Je crois que les gens que j'aime savent en tout cas que je suis leur deuxième paupière. :)
Ecrit par : Roumi | samedi, 13 janvier 2007
-----------------------------------
Bonsoir....Permets moi de te demander de fermer lentement , delicatement les yeux...de penser très fort à ceux que tu aimes, en ne te rappelant que des meilleurs moments, des instants de bonheur....les perles qui couleront sur ton visage "rafraichiront" leurs mémoires et atténueront ta douleur.
attention: "celui qui a le coeur trop sensible, s'expose à vivre dans une tristesse perpétuelle" ...................ET , charité bien ordonnée commence par soi-même!
Sois heureux! t'as un prix déjà !
Ecrit par : zahraten | dimanche, 14 janvier 2007
-----------------------------------
wellcome au 5e et dernier QUIZ VOYAGEUR de mon petit blog
@micalement
el greco
Ecrit par : elgreco | dimanche, 14 janvier 2007
-----------------------------------
@zahraten : merci pour tes encouragements. Ne t'inquiète pas ; je fais ce que je peux et j'essaie de m'améliorer en toute chose dès que je m'en sens capable ! Pour ce qui est du coeur, il est très sensible oui... parfois c'est un avantage et parfois c'est un inconvénient. Si on veut profiter des avantages, il faut alors "profiter" aussi des inconvénients même si on s'en passerait volontiers. :)
@El Greco : ok j'arriiiiiiiiiiiiiiiiiive... ! :)
Ecrit par : Roumi | dimanche, 14 janvier 2007
-----------------------------------
Salut,
Peut-être est-ce seulement le titre ou bien l'émotion qui se dégage de ton texte, mais il m'a fait penser au morceau "La Jetée" interprété aux clavecins par Yann Tiersen ..
Ecrit par : CirKus | dimanche, 14 janvier 2007
-----------------------------------
@CirKus : merci pour ton message. Je dois avouer que de Yann Tiersen je ne connais que le nom... alors je ne connais pas sa chanson "La Jetée". Il faudra que j'écoute cela alors. En tout cas, je voulais dans un premier temps appeler ma note "La passerelle"... mais comme son nom officiel est "La Jetée" et que cela m'évoquait finalement diverses métaphores liées à la mer, j'ai choisi "La Jetée" comme titre.
En tout cas merci pour ces mots très gentils.
Ecrit par : Roumi | dimanche, 14 janvier 2007
-----------------------------------
Il n'y a vraiment pas de quoi :) Mais merci à toi de me remercier :p
Yann Tiersen fait souvent allusion à la mer (qui le replonge dans sa Bretagne natale..) dans ses morceaux, notamment dans ses albums Le Phare et Les Retrouvailles.. J'espère que tu auras l'occasion d'écouter certaines de ses compositions qui sont de pures merveilles (j'avoue que c'est subjectif comme penchant :)).
Ecrit par : CirKus | dimanche, 14 janvier 2007
----------------------------------
Bon Roumi, j'attends depuis une demi heure une note qui ne vient toujours pas. Je vais dormir je la lirai demain :-) Bonne nuit.
Ecrit par : marou | lundi, 15 janvier 2007
-----------------------------------
@Cirkus : je vais essayer de combler ma lacune culturelle au plus vite ! :) Merci.
@marou : désolé mon Grand mais je suis en retard. J'ai très honte de t'avoir fait attendre... j'aurais dû te prévenir. :(
"Votre attention s'il vous plaît... la note numéro 46, départ initialement prévu à 0h00 circule avec un retard d'une heure et trente minutes environ. Je répète... la note numéro 46, départ initialement prévu à 0h00 circule avec un retard d'une heure et trente minutes environ... Hautetfort.com et France Telecom vous prient d'accepter leurs excuses pour ce retard !"
Tu liras effectivement la note après une nuit de sommeil où j'espère tu feras de beaux rêves.
Ecrit par : Roumi | lundi, 15 janvier 2007
-----------------------------------
@roumi
Je viens de découvrir ton blog. C'est le premier post que je lis. C'est très émouvant. C'est fou que les endroits peuvent nous rappeler tellement de souvenirs. Les parfums aussi nous font cet effet là mais avec beaucoup plus de violence.
La mélancolie est tellement douce et absorbante, elle nous entraîne et on adore ça !!!
Ecrit par : CDM | mercredi, 17 janvier 2007
-----------------------------------
@CDM : merci d'avoir partagé des émotions en me lisant, ça me fait plaisir. Pour les parfums, je n'ai pas une grande expérience mais je te fais confiance. :) C'est vrai que la mélancolie a souvent quelque chose de beau. :)
Ecrit par : Roumi | mercredi, 17 janvier 2007
Enregistrer un commentaire