lundi 25 août 2008

L'essence du passé...

Le passé est un temps complexe. Temps complexe à conjuguer... en français onze formes contre quatre pour le présent et deux pour le futur... Temps complexe à concevoir manifestement dans sa globalité... Il fascine, il fait peur... on l'aime ou on le rejette... on l'ignore ou on croit trop bien le connaître... on le fuit mais il nous suit comme une ombre... on s'y complaît et l'on oublie de vivre au présent... il y a donc dans le passé de nombreux méandres, de nombreuses pistes à explorer et où l'on peut tout aussi bien se perdre.

Bien que le passé soit pour moi un monde devenu progressivement familier, il n'est pas et ne doit pas être un refuge absolu. Je n'ai par exemple jamais rêvé de vivre à l'époque antique, tout bonnement parce que projeter dans le passé quelqu'un qui a des pensées du XXIe siècle serait tout à fait anachronique. A défaut d'y vivre, il faut savoir apprivoiser ce qu'il reste de ce passé. Les émotions qu'il suscite doivent être canalisées pour vivre en maintenant un bon équilibre. On doit en outre veiller au processus de recomposition du passé en nous, qu'il soit notre oeuvre ou celle d'autrui.

On ne peut tout connaître du passé : c'est un champ infini... mais un champ que l'on ne doit cesser de cultiver tant il est fondamental, en premier lieu son champ personnel, l'histoire de son passé propre ; j'ai abordé partiellement cette question il y a peu avec les liens entre archéologie et psychanalyse. Il y a ensuite toute l'histoire collective qui est un champ d'études encore plus vaste souvent parcouru par les historiens plutôt que par nous tous.

Aujourd'hui je voudrais insister sur la dimension émotionnelle du passé car elle me touche particulièrement et doublement. Il faut constater que l'historien est forcément habité par une forme d'émotion, de passion à l'égard de son sujet d'études et plus globalement de tout ce qui concerne le passé. Cette émotion si elle est le moteur de la recherche doit cependant être gérée au mieux pour ne pas entraîner l'historien à se départir d'une certaine distance nécessaire avec son objet d'études, garantie d'une relative objectivité. Longtemps les historiens étaient des écrivains ou des orateurs de talent, souvent des religieux, et il est difficile de dissocier la recherche historique de l'oeuvre littéraire ou rhétorique, le souci de rigueur de l'historien et l'expression du talent de l'artiste qui était supposé sommeiller en chaque honnête homme. C'est ce qui disqualifie malheureusement beaucoup de travaux anciens prétendus scientifiques où l'on atteint pour la forme des sommets d'éloquence, appréciés en leur temps, mais où la substance n'est pas des plus fiables, malgré une relative bonne volonté en ce sens.

Même si l'on a beaucoup progressé en quelques siècles ou décennies dans la façon de penser et d'écrire l'Histoire, on ne pourrait à l'évidence prétendre à une neutralité absolue car nous sommes tous le fruit, entre autres choses, de notre époque ou encore de notre éducation : cela laisse toujours quelque trace qui nous fera porter un regard particulier un peu biaisé sur tel ou tel fait passé. Quoi qu'il en soit l'idéal inconditionnel d'objectivité doit rester même s'il demande de perpétuels efforts.

L'émotion, publique ou particulière, conduit à des errances, à des impasses, lorsque l'on fait dire à l'Histoire ce que l'on a soi-même envie d'entendre, lorsqu'elle devient un instrument de pouvoir, notamment au service d'une histoire aussi officielle qu'artificielle. Cette démarche qui repose sur une lecture éminemment émotionnelle de l'Histoire, si on ne lui met pas de limites, se développe rapidement et se traduit par divers excès tels qu'une mémoire amnésique car sélective, une mémoire grossière car sans nuances, une mémoire absurde car pétrie de contradictions.

La dimension émotionnelle du passé, qui n'est donc pas sans inconvénients, se traduit aussi dans l'expression artistique. La meilleure illustration dans ce domaine, même si ce n'est pas la seule, est la fameuse "Renaissance", qui découla en particulier de l'effondrement des ultimes lambeaux de l'empire byzantin en 1453 et au retour de la conscience culturelle antique en Europe occidentale. Depuis lors toutes les disciplines artistiques ont été profondément influencées par la culture gréco-romaine, suscitant une charge émotionnelle tout à fait exceptionnelle dont on continue, aujourd'hui encore, à mesurer les effets.

L'émotion de l'artiste, contrairement à celle que peut tolérer l'historien, est sans limite ; l'artiste, libéré de toute contrainte, peut dans l'absolu représenter tout ce que sa technique et sa sensibilité lui inspirent. Il peut s'efforcer d'être fidèle à son modèle ou le modifier : embellir ou enlaidir, rajeunir ou vieillir, restaurer, restituer, reconstituer, ... nul ne lui tiendra rigueur de ses élans et cela d'autant moins que l'artiste a été pendant longtemps le vecteur privilégié de l'image du passé ; il impose donc sa vision, y compris aux historiens de l'époque moderne qui se déplaçaient moins que de nos jours et qui de toute façon n'avaient pas d'autres moyens que l'oeil et la main de l'artiste pour immortaliser leurs objets d'études. Ainsi l'artiste a pendant longtemps nourri historiens tout autant que grand public.

La question est de savoir si ces deux formes d'émotion, celle de l'historien et celle de l'artiste peuvent se rapprocher et se concilier. Dans les faits certains artistes se sont nettement mis au service de l'Histoire pour livrer des informations d'une précision remarquable. De même certains historiens ont voulu restituer leurs connaissances sous forme artistique, comme pour se libérer d'un cadre trop austère mais en conservant des lignes directrices relativement strictes en gage de leur sérieux.

Ces connexions n'ont pas toujours été heureuses cependant ; de certaines démarches d'historiens, trop portés vers l'artistique ou d'artistes trop portés vers la science sont nés quelques quiproquos qui ont la vie dure. On pourra citer notamment la Carthage punique qui reste définitivement associée à Salammbô, roman historique de Gustave Flaubert paru en 1862 ; si l'auteur cherche clairement à s'appuyer sur les connaissances historiques de son temps, il se heurte à leur faiblesse quantitative, se laisse emporter par leur imprécision et complète le tout de ses conceptions orientalistes, ce qui donne un résultat pour le moins éloigné de l'idéal recherché.

Pour ma part, je m'autoriser à conjuguer l'émotion de l'historien et de l'être sensible lorsque je dois m'imprégner d'un lieu que j'étudie, afin de mieux en percevoir la charge symbolique ainsi que ses lignes de force, ses points d'attraction, ... De cette confrontation émotive avec le terrain j'espère toujours voir naître quelque idée lumineuse qui pourrait m'éclairer sur le choix du lieu ou encore son mode d'organisation par ceux qui nous y ont précédé. Mon regard caresse pour ce faire l'écrin du passé, balayant sereinement tout l'horizon... il recherche aussi plus prosaïquement quelques visions exceptionnelles, ces petits moments magiques où le regard, retenu par un détail, déclenche un léger frisson et l'envie parfois d'immortaliser alors cet instant par l'image... en l'occurrence l'image relativement fidèle de l'appareil photographique. Voici donc quelques-unes de mes émotions :



Salle souterraine sous l'arène de l'amphithéâtre de Pouzzoles

Bassin du Poecile dans la villa Hadriana à Tivoli


Decumanus d'Ostie


Temple de Vesta à Tivoli

3 commentaires:

Amelie Poulain a dit…

Excusez moi monsieur mais je ne trouve rien de l'architecture la-dedans!

Roumi a dit…

Le dernier paragraphe, au moins, et les photographies me semblent répondre à cette remarque.

Amelie Poulain a dit…

:)